Savitri - Book Two - Canto 11

B OOK T WO – C ANTO 11 – T HE K INGDOMS AND G ODHEADS OF THE G REATER M IND L IVRE D EUX – C HANTE 11 – L ES R OYAUMES ET LES D IVINITES DU M ENTAL S UPERIEUR

SAVITRI S RI A UROBINDO

French translation by: Divakar Jeanson www.divakar-publications.com

BOOK TWO - The Book of the Traveller of the Worlds

LIVRE DEUX – Le Livre du Voyageur des Mondes

Canto Eleven - The Kingdoms and Godheads of the Greater Mind

Chant Onze – Les Royaumes et les Divinités du Mental Supérieur

There ceased the limits of the labouring Power. But being and creation cease not there. For Thought transcends the circles of mortal mind, It is greater than its earthly instrument: The godhead crammed into mind's narrow space Escapes on every side into some vast That is a passage to infinity. It moves eternal in the spirit's field, But mind too falls back from a nameless peak. His being stretched beyond the sight of Thought. For the spirit is eternal and unmade And not by thinking was its greatness born, And not by thinking can its knowledge come. It knows itself and in itself it lives, It moves where no thought is nor any form. A runner towards the far spiritual light, A child and servant of the spirit's force.

Là cessait le champ de la Puissance ouvrière. Mais l’être et la création ne cessent pas là. Car la Pensée transcende les cercles du mental, Elle est plus grande que son instrument ici-bas : La déité comprimée dans son espace étroit Echappe de tous côtés dans une vastitude Qui est un passage vers l’infinité. Elle se meut éternelle dans l’air de l’esprit Et s’élance vers l’avènement de sa lumière, Enfant et servante de la force spirituelle. Mais le mental aussi tombe d’un pic innommable. Son propre être s’étendait par-delà la Pensée. Car l’esprit est éternel et inné Et ce n’est pas en pensant que naquit sa grandeur, Et ce n’est pas en pensant que vient sa connaissance. Il se connaît soi-même et en soi-même existe, Il se meut où il n’y a ni pensée ni forme. Ses pieds s’affermissent sur les choses finies, Ses ailes peuvent oser traverser l’Infini. Pénétrant sa conscience un espace merveilleux De grandes et sublimes rencontres l’appela, Où la Pensée, à l’aide d’une Vision directe, Façonnait un monde depuis l’Impensable. Sur des cimes que ne peut gravir l’imaginaire, Dans les horizons d’une perception inlassable,

Its feet are steadied upon finite things, Its wings can dare to cross the Infinite.

Arriving into his ken a wonder space Of great and marvellous meetings called his steps, Where Thought leaned on a Vision beyond thought And shaped a world from the Unthinkable.

On peaks imagination cannot tread, In the horizons of a tireless sight,

Under a blue veil of eternity The splendours of ideal Mind were seen Outstretched across the boundaries of things known. Origin of the little that we are, Instinct with the endless more that we must be, A prop of all that human strength enacts, Creator of hopes by earth unrealised, It spreads beyond the expanding universe; It wings beyond the boundaries of Dream, It overtops the ceiling of life's soar. Awake in a luminous sphere unbound by Thought, Exposed to omniscient immensities, It casts on our world its great crowned influences, Its speed that outstrips the ambling of the hours, Its force that strides invincibly through Time, Its mights that bridge the gulf twixt man and God, Its lights that combat Ignorance and Death. In its vast ambit of ideal Space Where beauty and mightiness walk hand in hand, The Spirit's truths take form as living Gods And each can build a world in its own right. In an air which doubt and error cannot mark

Devinées sous un voile bleu d’éternité Les splendeurs du Mental idéal apparurent, Franchissant les frontières des choses connues. Origine du petit peu que nous sommes, Vibrant du toujours plus qu’il nous faut devenir, Un soutien de l’énergie humaine dans ses actes, Créateur d’espoirs irréalisés par la terre, Ce domaine se déploie par-delà l’univers, S’envole au-delà des lisières du Rêve Et surplombe de haut l’essor de la vie. Sphère lumineuse que ne lie pas la Pensée, Exposée à d’omniscientes immensités, Cela jette sur notre monde ses influences, Sa vitesse qui surpasse l’amble des heures, Sa force invincible qui traverse le Temps, Ses puissances qui relient l’homme avec Dieu, Sa lumière qui combat l’Ignorance et la Mort. Dans la vaste portée de son Espace idéal Où la grandeur et la beauté marchent ensemble, Les vérités de l’Esprit sont des Dieux vivants Et chacun peut bâtir, de son droit, son propre monde. Un air que le doute et l’erreur ne peuvent marquer Des stigmates de leur difformité, En communion intime avec une vérité Qui perçoit tout dans une clarté infaillible Où la vue n’hésite ni la pensée ne s’égare, Exempt de l’impôt exorbitant de nos larmes, Abrite à jamais de lumineuses créations Qui contemplent en rêve les Idées éternelles. Dans un brasier solaire de pouvoir et de joie

With the stigmata of their deformity, In communion with the musing privacy Of a truth that sees in an unerring light

Where the sight falters not nor wanders thought, Exempt from our world's exorbitant tax of tears, Dreaming its luminous creations gaze On the Ideas that people eternity. In a sun-blaze of joy and absolute power Above the Masters of the Ideal throne In sessions of secure felicity,

Les Maîtres de l’Idéal trônent au-dessus En de tranquilles sessions de félicité,

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In regions of illumined certitude. Far are those realms from our labour and yearning and call, Perfection's reign and hallowed sanctuary Closed to the uncertain thoughts of human mind, Remote from the turbid tread of mortal life. But since our secret selves are next of kin, A breath of unattained divinity Visits the imperfect earth on which we toil; Across a gleaming ether's golden laugh A light falls on our vexed unsatisfied lives, A thought comes down from the ideal worlds And moves us to new-model even here Some image of their greatness and appeal And wonder beyond the ken of mortal hope. Amid the heavy sameness of the days And contradicted by the human law, A faith in things that are not and must be Lives comrade of this world's delight and pain, The child of the secret soul's forbidden desire Born of its amour with eternity. Our spirits break free from their environment; The future brings its face of miracle near, Its godhead looks at us with present eyes; Acts deemed impossible grow natural; We feel the hero's immortality; The courage and the strength death cannot touch Awake in limbs that are mortal, hearts that fail; We move by the rapid impulse of a will That scorns the tardy trudge of mortal time. These promptings come not from an alien sphere: Ourselves are citizens of that mother State,

Dans l’abri d’une certitude illuminée - Loin de notre labeur, notre besoin, notre appel, Règne de la perfection et sanctuaire inviolable Fermés aux pensées incertaines des hommes, Distants de la marche trouble de la vie mortelle. Mais puisque nos soi secrets sont nos parents, Le souffle d’une divinité jamais atteinte Visite la terre imparfaite où nous peinons ; Traversant le rire doré d’un brillant éther Une lumière vient toucher nos vies frustrées, Quelque image de leur grandeur et de leur attrait, De leur merveille incompréhensible à notre espoir. Dans la lourde monotonie de nos jours, Contredite par notre loi humaine, une foi En des choses qui ne sont pas et doivent être Est la camarade de nos plaisirs et douleurs, L’enfant du désir interdit de l’âme secrète Née de ses amours avec l’éternité. Nos esprits s’échappent de leur environnement, L’avenir nous montre son miraculeux visage, Une pensée descend des mondes idéaux Et nous conduit à remodeler même ici

Sa divinité nous regarde dans le présent ; Des actes jugés impossibles sont naturels, Nous éprouvons l’immortalité du héros ;

Le courage, la vigueur que la mort ne peut toucher S’éveillent en nos coeurs et nos membres faillibles ; L’impulsion nous anime d’une volonté Qui dédaigne la marche traînante du temps. Ce souffle ne vient pas d’un domaine étranger : Nous-mêmes sommes citoyens de cet Etat-mère ;

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Adventurers, we have colonised Matter's night. But now our rights are barred, our passports void; We live self-exiled from our heavenlier home. An errant ray from the immortal Mind Accepted the earth's blindness and became Our human thought, servant of Ignorance. An exile, labourer on this unsure globe Captured and driven in Life's nescient grasp, Hampered by obscure cell and treacherous nerve, It dreams of happier states and nobler powers, The natural privilege of unfallen gods, Recalling still its old lost sovereignty. Amidst earth's mist and fog and mud and stone It still remembers its exalted sphere And the high city of its splendid birth. A memory steals in from lost heavens of Truth, A wide release comes near, a Glory calls, A might looks out, an estranged felicity. In glamorous passages of half-veiled light Wandering, a brilliant shadow of itself, This quick uncertain leader of blind gods, This tender of small lamps, this minister serf

Aventuriers, nous avons colonisé la nuit. Mais, nos droits annulés, nos passeports invalides, Nous nous sommes exilés de notre vrai foyer. Un rayon délinquant du Mental immortel Accepta l’aveuglement de la terre et devint Notre pensée humaine, servante de l’Ignorance. Ouvrière proscrite sur ce globe incertain, Capturée par l’emprise nesciente de la Vie, Alourdie et trahie par la cellule et le nerf, Elle rêve d’états plus heureux et plus nobles, Le privilège des dieux qui n’ont pas déchu, Et se souvient encore de sa royauté. Dans la brume et le brouillard, dans la boue et la pierre, Elle se rappelle de sa sphère exaltée Et de la cité splendide de sa naissance. Une mémoire perle d’anciens paradis, Une délivrance s’approche, une Gloire appelle, Une grandeur, une félicité aliénée. En des passages envoûtants de demi clarté, Egarée, une ombre brillante d’elle-même, Cette meneuse incertaine de dieux aveugles, Cette allumeuse de lampes, cette ministre esclave Engagée par un mental et un corps terrestres, Oublie sa tâche dans leurs réalités ; Elle recouvre son droit impérial abdiqué, Revêt à nouveau la robe empourprée Et se sait la reine voyante de l’Idéal, Communiante et prophète du Sans Naissance, Héritière d’une joie qui ne meurt pas. Là, tout est réel, qui n’est qu’un songe ici-bas ; Cette réserve de vérité gît en nous-mêmes,

Hired by a mind and body for earth-use Forgets its work mid crude realities; It recovers its renounced imperial right,

It wears once more a purple robe of thought And knows itself the Ideal's seer and king, Communicant and prophet of the Unborn, Heir to delight and immortality. All things are real that here are only dreams, In our unknown depths sleeps their reserve of truth,

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On our unreached heights they reign and come to us In thought and muse trailing their robes of light. But our dwarf will and cold pragmatic sense

Règne sur nos hauteurs inatteintes, et nous vient En pensée et en rêve, enrobée de lumière. Mais notre petit vouloir, froid et pragmatique, Ne laisse pas entrer les célestes visiteurs : Nous attendant sur les cimes de l’Idéal Ou gardées invisibles dans notre être secret, Eclatant pourtant parfois dans notre âme, Leur puissance et leur beauté se cachent de nos vies. Notre présent parfois ressent leur toucher royal, Notre avenir se tend vers leurs trônes lumineux : Depuis leur mystère spirituel elles regardent, Dans les couloirs du mental résonnent leurs pas : Nos âmes peuvent monter dans leurs plans rayonnants, Les vastes dont elles vinrent peuvent être nôtres. Son privilège regagné de perception claire, Le Penseur pénétra l’air des immortels Et revint boire à sa grande source pure. Immuables dans leur joie et leur calme rythmiques, Souverainement libres dans un jour infini, Il vit les plans intègres que la pensée créa Où la Connaissance est le guide de l’acte Et la Matière est une substance intelligente, Où l’émotion, oiseau de paradis et de songe, Répond à la Vérité comme à une mère, Et la forme bondit du rai créateur Et la Volonté est un chariot pour les Dieux, Et la Vie, un fleuve de Force splendide, Charrie les voix éternelles des Astres mystiques. Elle apporte un bonheur de vérité chuchotée, Et en son flot comme un miel au sein de l’Espace S’écoule le rire immortel du Bienheureux,

Admit not the celestial visitants: Awaiting us on the Ideal's peaks Or guarded in our secret self unseen

Yet flashed sometimes across the awakened soul, Hide from our lives their greatness, beauty, power. Our present feels sometimes their regal touch, Our future strives towards their luminous thrones: Out of spiritual secrecy they gaze, Immortal footfalls in mind's corridors sound: Our souls can climb into the shining planes, The breadths from which they came can be our home. His privilege regained of shadowless sight The Thinker entered the immortals' air And drank again his pure and mighty source. Immutable in rhythmic calm and joy He saw, sovereignly free in limitless light, The unfallen planes, the thought-created worlds Where Knowledge is the leader of the act And Matter is of thinking substance made, Feeling, a heaven-bird poised on dreaming wings, Answers Truth's call as to a parent's voice, Form luminous leaps from the all-shaping beam And Will is a conscious chariot of the Gods, And Life, a splendour stream of musing Force, Carries the voices of the mystic Suns. A happiness it brings of whispered truth; There runs in its flow honeying the bosom of Space A laughter from the immortal heart of Bliss,

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And the unfathomed Joy of timelessness, The sound of Wisdom's murmur in the Unknown And the breath of an unseen Infinity. In gleaming clarities of amethyst air The chainless and omnipotent Spirit of Mind Brooded on the blue lotus of the Idea. A gold supernal sun of timeless Truth Poured down the mystery of the eternal Ray Through a silence quivering with the word of Light On an endless ocean of discovery. Far-off he saw the joining hemispheres. On meditation's mounting edge of trance Great stairs of thought climbed up to unborn heights Where Time's last ridges touch eternity's skies And Nature speaks to the spirit's absolute. A triple realm of ordered thought came first, A small beginning of immense ascent: Above were bright ethereal skies of mind, A packed and endless soar as if sky pressed sky Buttressed against the Void on bastioned light; The highest strove to neighbour eternity, The largest widened into the infinite. But though immortal, mighty and divine, The first realms were close and kin to human mind; Their deities shape our greater thinking's roads, A fragment of their puissance can be ours: These breadths were not too broad for our souls to range, These heights were not too high for human hope. A triple flight led to this triple world. Although abrupt for common strengths to tread, Its upward slope looks down on our earth-poise:

Et la Joie insondable de l’intemporel, Le murmure de la Sagesse dans l’Inconnu Et le souffle d’une invisible Infinité. En de luisantes clartés d’un air améthyste, Libre de ses chaînes, l’Esprit du Mental Méditait sur le lotus bleu de l’Idée. Un sublime astre d’or de Vérité permanente Versait le mystère constant de son Rai Dans un silence vibrant du verbe de Lumière Sur un océan de découverte illimitée. Il vit, au loin, les hémisphères qui se joignaient. Sur la lame de transe de sa méditation De grands degrés de pensée s’élevaient jusque là Où les crêtes du Temps touchent les cieux éternels Et la Nature parle à l’absolu de l’esprit. Un triple domaine de pensée ordonnée Vint le premier, début d’une immense ascension : Au-dessus étaient de brillants cieux éthérés Se pressant innombrables dans leur essor, Fortifiés contre le Vide en bastions de lumière ; Le plus haut voisinait presque l’éternité, Le plus large s’ouvrait jusque dans l’infini. Mais bien qu’immortelles, sublimes et divines, Les premières contrées étaient proches de l’humain ; Leurs déités façonnent nos routes les plus hautes, Un fragment de leur puissance peut être nôtre : Ces largeurs n’étaient pas trop amples pour nos âmes, Ni ces hauteurs trop élevées pour nos espérances. Un triple escalier menait à cette trinité. Bien qu’abrupt pour des énergies ordinaires, Son versant domine immédiatement notre terre :

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On a slant not too precipitously steep One could turn back travelling deep descending lines To commune with the mortal's universe. The mighty wardens of the ascending stair Who intercede with the all-creating Word, There waited for the pilgrim heaven-bound soul; Holding the thousand keys of the Beyond They proffered their knowledge to the climbing mind And filled the life with Thought's immensities. The prophet hierophants of the occult Law, The flame-bright hierarchs of the divine Truth, Interpreters between man's mind and God's, They bring the immortal fire to mortal men. Iridescent, bodying the invisible, The guardians of the Eternal's bright degrees Illumined originals of the shadowy script In which our sight transcribes the ideal Ray, Or icons figuring a mystic Truth, But, nearer, Gods and living Presences. A march of friezes marked the lowest steps; Fantastically ornate and richly small, They had room for the whole meaning of a world, Symbols minute of its perfection's joy, Strange beasts that were Nature's forces made alive And, wakened to the wonder of his role, Man grown an image undefaced of God And objects the fine coin of Beauty's reign; But wide the terrains were those levels serve. Fronted the Sun in radiant phalanxes. Afar they seemed a symbol imagery,

Sur une pente qui n’était pas trop escarpée, Par de profonds sillons l’on pouvait retourner Communier avec l’univers du mortel. Les puissants gardiens des degrés ascendants Qui intercèdent auprès du Verbe créateur, Y attendaient la venue de l’âme pèlerine ; Tenant les mille clés de l’Au-delà, Ils proféraient leur connaissance à l’aspirant, Emplissant la vie d’immensités de pensée. Prophètes hiérophantes de la Loi occulte, Prélats enflammés de la divine Vérité, Interprètes entre l’humain et le divin, Ils portent le feu immortel aux hommes mortels. Iridescents, donnant un corps à l’invisible, Sentinelles des marches de l’Eternel, Leurs phalanges radiantes faisaient face au Soleil. De loin ils semblaient une imagerie symbolique, Originaux lumineux de la sombre écriture En laquelle notre vue transcrit l’Idéal, Ou des icônes figurant une Vérité, Mais, plus près, des Dieux et des Présences vivantes. Les premiers degrés étaient ornés de fresques ; Fantastiquement et richement détaillées, Le sens d’un monde tout entier pouvait s’y tenir, Symboles minutieux de sa joie de perfection, Bêtes étranges pour les forces de la Nature, Et, éveillé à la merveille de son rôle, L’homme devenu l’image fidèle de Dieu, Et objets signifiant le règne de la Beauté ; Mais ces paliers desservaient de vastes terrains.

In front of the ascending epiphany

En avant de l’épiphanie ascendante,

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World-Time's enjoyers, favourites of World-Bliss, The Masters of things actual, lords of the hours, Playmates of youthful Nature and child God, Creators of Matter by hid stress of Mind Whose subtle thoughts support unconscious Life And guide the fantasy of brute events, Stood there, a race of young keen-visioned gods, King-children born on Wisdom's early plane, Taught in her school world-making's mystic play. Archmasons of the eternal Thaumaturge, Moulders and measurers of fragmented Space, They have made their plan of the concealed and known

Jouisseurs du Temps et favoris de la Joie cosmique, Les Maîtres des choses présentes, seigneurs des heures, Camarades de la Nature et de l’enfant Dieu, Créant la Matière par une pression mentale, Leurs pensées supportant la Vie inconsciente Et guidant la fantaisie des évènements, Etait une race de jeunes dieux clairvoyants, Princes nés sur le premier degré de la Sagesse, Instruits dans son école au jeu de la création. Archimaçons de l’éternel Thaumaturge, Modelant et mesurant l’Espace fragmenté, Ils ont fait de leur plan de l’occulte et du connu Une habitation pour le monarque invisible. Obéissant à la commande de l’Eternel Ils ont bâti dans l’aire matérielle des choses Cette garderie mondiale de jeunes âmes Où l’esprit infant, par le mental et par les sens, Apprend à déchiffrer l’écriture cosmique, A étudier le corps de l’être universel Et rechercher le sens dissimulé de l’ensemble. A tout ce que l’Esprit conçoit ils offrent un moule ; Persuadant la Nature à des états visibles Ils prêtent une forme à des choses infinies. De chaque pouvoir qui jaillit du Non Manifeste, Laissant l’amplitude de la paix éternelle, Ils se saisirent, le fixant de leur œil rigoriste, Et firent un figurant dans la danse des mondes, Astreignant sa liberté à des lois rythmiques Et le contraignant à sa ligne et à sa posture Dans la sorcellerie d’un univers ordonné. Cela qui porte tout fut contenu dans la forme, L’Union fut taillée en unités mesurables,

A dwelling-house for the invisible king. Obeying the Eternal's deep command

They have built in the material front of things This wide world-kindergarten of young souls Where the infant spirit learns through mind and sense

To read the letters of the cosmic script And study the body of the cosmic self

And search for the secret meaning of the whole. To all that Spirit conceives they give a mould; Persuading Nature into visible moods They lend a finite shape to infinite things. Each power that leaps from the Unmanifest Leaving the largeness of the Eternal's peace They seized and held by their precisian eye And made a figurante in the cosmic dance. Its free caprice they bound by rhythmic laws And compelled to accept its posture and its line In the wizardry of an ordered universe. The All-containing was contained in form, Oneness was carved into units measurable,

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The limitless built into a cosmic sum: Unending Space was beaten into a curve, Indivisible Time into small minutes cut, The infinitesimal massed to keep secure The mystery of the Formless cast into form. Invincibly their craft devised for use The magic of sequent number and sign's spell, Design's miraculous potency was caught Laden with beauty and significance And by the determining mandate of their gaze Figure and quality equating joined In an inextricable identity. On each event they stamped its curves of law And its trust and charge of burdened circumstance; A free and divine incident no more At each moment willed or adventure of the soul, It lengthened a fate-bound mysterious chain, A line foreseen of an immutable plan, One step more in Necessity's long march. A term was set for every eager Power Restraining its will to monopolise the world, A groove of bronze prescribed for force and act And shown to each moment its appointed place Forewilled inalterably in the spiral Huge Time-loop fugitive from eternity. Inevitable their thoughts like links of Fate Imposed on the leap and lightning race of mind And on the frail fortuitous flux of life And on the liberty of atomic things Immutable cause and adamant consequence. Idea gave up the plastic infinity To which it was born and now traced out instead

L’illimité composé en somme cosmique : L’Espace fut martelé en une courbe, Le Temps indivisible découpé en minutes, L’infinitésimal amassé pour abriter Le mystère du Sans Forme au-dedans de la forme. Leur génie invincible inventa pour l’usage La magie des nombres et le sortilège des signes, La puissance virtuelle du plan fut saisie Avec sa promesse de beauté et de sens Et, par le mandat déterminant de leur regard, A chaque évènement ils imposèrent sa loi, Son devoir et sa charge de circonstance : Il n’y avait plus d’incident libre et divin Voulu à chaque instant, ou choisi par l’âme, Mais une chaîne de destin mystérieuse, Une ligne prévue d’un plan immuable, Les pas de la Nécessité dans sa longue marche. Un terme fut établi pour chaque Pouvoir Le restreignant dans sa volonté de monopole, Un sillon de bronze prescrit pour l’acte et la force Et à chaque instant fut montrée sa place Inaltérablement assignée dans la spirale Des éons de Temps fugitifs de l’éternité. Leurs pensées, tels des maillons de Destin, Imposèrent à la course et au saut du mental Comme au flux fragile et fortuit de la vie Et à la liberté des choses atomiques Une cause immuable et conséquence inflexible. Figure et qualité se joignirent égales Dans une seule inextricable identité.

L’idée abandonna la plastique infinité Qui lui était innée pour tracer à sa place

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Small separate steps of chain-work in a plot: Immortal once, now tied to birth and end, Torn from its immediacy of errorless sight, Knowledge was rebuilt from cells of inference Into a fixed body flasque and perishable; Thus bound it grew, but could not last and broke And to a new thinking's body left its place. A cage for the Infinite's great-eyed seraphim Thoughts Was closed with a criss-cross of world-laws for bars And hedged into a curt horizon's arc The irised vision of the Ineffable. A timeless Spirit was made the slave of the hours; The Unbound was cast into a prison of birth To make a world that Mind could grasp and rule. On an earth which looked towards a thousand suns, Above stood ranked a subtle archangel race With larger lids and looks that searched the unseen. A light of liberating knowledge shone Across the gulfs of silence in their eyes; They lived in the mind and knew truth from within; A sight withdrawn in the concentrated heart Could pierce behind the screen of Time's results And the rigid cast and shape of visible things. All that escaped conception's narrow noose Vision descried and gripped; their seeing thoughts Filled in the blanks left by the seeking sense. High architects of possibility That the created might grow Nature's lord And Matter's depths be illumined with a soul They tied to date and norm and finite scope The million-mysteried movement of the One.

A petits pas séparés les chaînons d’une intrigue : Jadis immortelle, forcée à naître et à finir, Arrachée à sa vue immédiate infaillible, La Connaissance fut rebâtie par inférence En un ensemble fixe et flasque et périssable ; Ainsi dut-elle grandir, mais bientôt se rompit, Remplacée par une autre sorte d’intelligence. Une cage pour les grandes Pensées séraphines Fut enclose en un grillage de lois générales Et confinée, par l’arc d’un horizon tronqué, La vision irisée de Ce qui est Ineffable. Un Esprit sans âge devint l’esclave des heures ; L’Un fut jeté dans une prison de naissance Pour faire un monde que le Mental puisse régir. Sur une terre qui regardait mille soleils, Pour que la créature règne sur la Nature Et une âme illumine les fonds de la Matière Ils lièrent à des dates, des normes et des portées Le mystère infini du mouvement de l’Unique. Plus haut se tenaient les rangs d’une race d’archanges Dont les grands yeux semblaient fouiller l’invisible. Une connaissance libératrice à travers Les gouffres de silence rayonnait dans leurs yeux ; Ils savaient la vérité intérieure au mental ; Leur vision, retirée dans le cœur concentré, Pouvait percer l’écran des résultats du Temps Et le moule rigide des choses visibles. Tout ce qui échappait au nœud coulant du concept Leur vision discernait, et leurs pensées voyantes Comblaient les vides laissés par les sens. Hauts architectes de la possibilité

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And engineers of the impossible, Mathematicians of the infinitudes And theoricians of unknowable truths, They formulate enigma's postulates And join the unknown to the apparent worlds. Acolytes they wait upon the timeless Power, Their mind could penetrate her occult mind And draw the diagram of her secret thoughts; They read the codes and ciphers she had sealed, Copies they made of all her guarded plans, For every turn of her mysterious course Assigned a reason and unchanging rule. The unseen grew visible to student eyes, Explained was the immense Inconscient's scheme, Audacious lines were traced upon the Void; The Infinite was reduced to square and cube. Arranging symbol and significance, Tracing the curve of a transcendent Power, They framed the cabbala of the cosmic Law, The balancing line discovered of Life's technique And structured her magic and her mystery. Imposing schemes of knowledge on the Vast They clamped to syllogisms of finite thought The free logic of an infinite Consciousness, Grammared the hidden rhythms of Nature's dance, Critiqued the plot of the drama of the worlds, Made figure and number a key to all that is: The psycho-analysis of cosmic Self Was traced, its secrets hunted down, and read The unknown pathology of the Unique. The cycle of her works investigate; Passing her fence of wordless privacy

Et ingénieurs de ce qui est encore impossible, Mathématiciens des infinitudes Et théoriciens de l’inconnaissable, Ils formulent les postulats de l’énigme Et joignent l’inconnu aux mondes apparents. Acolytes de la Puissance intemporelle, Ils examinent le cycle de ses œuvres ; Passant la clôture de son intimité Ils peuvent pénétrer son mental occulte Et dessiner le diagramme de ses pensées ; Ils déchiffrent les codes qu’elle a encryptés, Font des copies de tous ses plans gardés, A chaque détour de son mystérieux parcours Assignent une raison, une règle invariable. L’invisible devient visible pour l’étudiant, Expliqué le projet de l’immense Inconscient, Des lignes audacieuses sont tracées sur le Vide ; L’Infini se réduit au carré et au cube. Arrangeant le symbole et la signifiance, Suivant la courbe d’un Pouvoir transcendant, Ils saisissent la cabbale de la Loi cosmique Et l’équilibre de la technique de la Vie, Pour structurer sa magie et son mystère. Imposant au Vaste des schémas de connaissance, Ils arriment aux syllogismes de la pensée La libre logique d’une Conscience infinie, Composent la grammaire des rythmes cachés, Critiquent l’intrigue du drame des mondes, Et du chiffre et du nombre font la clé de tout : La psychanalyse du Soi cosmique est tracée,

Ses secrets sont pourchassés, décrite Est la pathologie inconnue de l’Unique.

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Assessed was the system of the probable, The hazard of fleeing possibilities, To account for the Actual's unaccountable sum, Necessity's logarithmic tables drawn, Cast into a scheme the triple act of the One. Unveiled, the abrupt invisible multitude Of forces whirling from the hands of Chance Seemed to obey some vast imperative: Their tangled motives worked out unity. A wisdom read their mind to themselves unknown, Their anarchy rammed into a formula And from their giant randomness of Force, Following the habit of their million paths, Distinguishing each faintest line and stroke Of a concealed unalterable design, Out of the chaos of the Invisible's moods Derived the calculus of Destiny. In its bright pride of universal lore Mind's knowledge overtopped the Omniscient's power: The Eternal's winging eagle puissances Surprised in their untracked empyrean Stooped from their gyres to obey the beck of Thought: Each mysteried God forced to revealing form, Assigned his settled moves in Nature's game, Zigzagged at the gesture of a chess-player Will

Le système du probable est évalué, Le hasard des possibilités fugitives, Pour expliquer l’inexplicable somme de tout, Les logarithmes de la Nécessité, et l’acte Triple de l’Un, sont dressés et schématisés. Dévoilée, l’abrupte multitude invisible Des forces qui tournoient aux mains de la Chance Semble obéir à quelque vaste impératif : Leurs mobiles emmêlés produisent l’unité. Une sagesse les déchiffre à elles-mêmes, Force leur anarchie dans une formule Et, de leur gigantesque déferlement, Suivant leurs millions de sentiers habituels, Distinguant la moindre ligne et le trait le plus pâle Dans son brillant orgueil de savoir universel Le mental surpasse le pouvoir de l’Omniscient : Les aigles puissants de l’Eternel, surpris Dans leur empyrée jamais explorée, fondent De leurs girations au signe de la Pensée : Chaque Dieu mystérieux, forcé à la forme, Ses motions assignées dans le jeu de la Nature, Zigzague au geste et au gré d’un Maître joueur Sur l’échiquier du Destin universel. Dans la succession des pas de la Nécessité Prédite, chaque action et chaque pensée de Dieu, Jaugée et pesée par le comptable mental Et vérifiée par sa puissance mathématique, Perd son divin aspect de miracle et n’est plus Qu’une figure dans une somme cosmique. D’un inaltérable dessein dissimulé, Hors du chaos des états de l’Invisible Peut déduire le calculus de la Destinée.

Across the chequerboard of cosmic Fate. In the wide sequence of Necessity's steps Predicted, every act and thought of God, Its values weighed by the accountant Mind, Checked in his mathematised omnipotence,

Lost its divine aspect of miracle And was a figure in a cosmic sum.

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The mighty Mother's whims and lightning moods Arisen from her all-wise unruled delight In the freedom of her sweet and passionate breast, Robbed of their wonder were chained to a cause and aim; An idol of bronze replaced her mystic shape That captures the movements of the cosmic vasts, In the sketch precise of an ideal face The surging wave-throbs of her vast sea-heart They bound to a theorem of ordered beats: Her deep designs which from herself she had veiled Bowed self-revealed in their confessional. For the birth and death of the worlds they fixed a date, The diameter of infinity was drawn, Measured the distant arc of the unseen heights And visualised the plumbless viewless depths, Till all seemed known that in all time could be. All was coerced by number, name and form; Nothing was left untold, incalculable. Yet was their wisdom circled with a nought: Truths they could find and hold but not the one Truth: The Highest was to them unknowable. By knowing too much they missed the whole to be known: The fathomless heart of the world was left unguessed And the Transcendent kept its secrecy. Forgotten was her eyelashes' dream-print Carrying on their curve infinity's dreams, Lost the alluring marvel of her eyes;

Les foudres et caprices de la puissante Mère Qui surgissent de sa joie sage et souveraine Dans la douce liberté de son sein passionné, Sont alors enchaînés à une cause et un but ; Une idole de bronze remplace sa forme Qui capture les mouvements des vastitudes Et, dans le croquis précis d’un visage idéal Est oubliée l’empreinte subtile de ses cils Dont la courbe porte les rêves de l’infini Et perdue, l’attirante merveille de ses yeux ; Les vagues déferlantes de son coeur océan Sont liées au théorème d’un rythme ordonné : Ses profonds desseins qu’elle se voile à elle-même S’inclinent, révélés, dans leur confessionnal. La date de la naissance et de la mort des mondes Et le diamètre de l’infinité, sont connus, Mesuré l’arc distant des hauteurs invisibles Et visualisées les profondeurs insondables, Jusqu’à ce que tout soit su qui pourra jamais être. Tout est contraint par le nombre, le nom et la forme ; Rien n’est laissé indéfini ou incalculable. Pourtant leur sagesse est-elle encerclée d’un zéro : Des vérités ils trouvent, mais pas l’une Vérité : Le Très-Haut demeure pour eux inconnaissable. Sachant trop, ils ne peuvent connaître l’ensemble : Le cœur insondable du monde demeure ignoré Et le Transcendant garde toujours son secret.

In a sublimer and more daring soar To the wide summit of the triple stairs Bare steps climbed up like flaming rocks of gold Burning their way to a pure absolute sky.

En un essor plus sublime et téméraire Jusqu’au large sommet du triple escalier

Des marches nues telles des roches d’or enflammé Montaient brûlantes vers un ciel pur et absolu.

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August and few the sovereign Kings of Thought Have made of Space their wide all-seeing gaze Surveying the enormous work of Time: A breadth of all-containing Consciousness Supported Being in a still embrace. Intercessors with a luminous Unseen, They capt in the long passage to the world The imperatives of the creator Self Obeyed by unknowing earth, by conscious heaven; Their thoughts are partners in its vast control. A great all-ruling Consciousness is there And Mind unwitting serves a higher Power; There is a meaning in each play of Chance, There is a freedom in each face of Fate. A Wisdom knows and guides the mysteried world; A Truth-gaze shapes its beings and events; A Word self-born upon creation's heights, Voice of the Eternal in the temporal spheres, Prophet of the seeings of the Absolute, Sows the Idea's significance in Form And from that seed the growths of Time arise. On peaks beyond our ken the All-Wisdom sits: A single and infallible look comes down, A silent touch from the supernal's air Awakes to ignorant knowledge in its acts The secret power in the inconscient depths, Compelling the blinded Godhead to emerge, Determining Necessity's nude dance As she passes through the circuit of the hours It is a channel, not the source of all. The cosmos is no accident in Time;

Peu nombreux, les augustes Rois de la Pensée Ont fait de l’Espace leur regard omnivoyant Surveillant l’ouvrage énorme du Temps : Une ampleur de Conscience qui peut tout contenir Soutenait l’Etre dans une étreinte immobile. Intercesseurs auprès d’un lumineux Invisible, Ils captent dans le long passage vers le monde Les impératifs du Soi créateur qu’obéissent La terre sans le savoir et le ciel consciemment ; Leurs pensées participent dans son vaste contrôle. Une grande Conscience est là, souveraine : Le Mental à son insu sert un plus haut Pouvoir ; Il est un canal et non la source de tout. Le cosmos n’est pas un accident dans le Temps ; Il y a un sens dans chaque jeu de la Chance, Une liberté dans chaque face du Destin. Une Sagesse guide le monde mystérieux ; Un regard de Vérité façonne ses êtres ; Un Verbe qui naît sur les hauteurs du créé, Voix de l’Eternel dans les sphères temporelles, Prophète des voyances de l’Absolu, Sème la signifiance de l’Idée dans la Forme : De cette graine germent les croissances du Temps. Par-delà notre entendement se tient Sa Sagesse : Un regard unique et infaillible en descend, Un toucher silencieux depuis l’air supérieur Eveille à un savoir ignorant en ses actes Le secret pouvoir dans les fonds inconscients, Obligeant à émerger le Dieu aveuglé, Déterminant la danse de la Nécessité Alors qu’elle parcourt le circuit des heures

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And vanishes from the chase of finite eyes Down circling vistas of aeonic Time. The unseizable forces of the cosmic whirl Bear in their bacchant limbs the fixity Of an original foresight that is Fate. Even Nature's ignorance is Truth's instrument; Our struggling ego cannot change her course: Yet is it a conscious power that moves in us, A seed-idea is parent of our acts And destiny the unrecognised child of Will. Infallibly by Truth's directing gaze All creatures here their secret self disclose, Forced to become what in themselves they hide. Climbs from the plasm to immortality. But hidden, but denied to mortal grasp, Mystic, ineffable is the spirit's truth, Unspoken, caught only by the spirit's eye. When naked of ego and mind it hears the Voice; It looks through light to ever greater light And sees Eternity ensphering Life. This greater Truth is foreign to our thoughts; Where a free Wisdom works, they seek for a rule; Or we only see a tripping game of Chance Or a labour in chains forced by bound Nature's law, An absolutism of dumb unthinking Power. Audacious in their sense of God-born strength These dared to grasp with their thought Truth's absolute; By an abstract purity of godless sight, For He who Is grows manifest in the years And the slow Godhead shut within the cell

Et s’enfuit des yeux mortels qui la poursuivent Par les cercles d’horizons du Temps éonien. Insaisissables, les forces du tournoiement cosmique Portent dans leurs membres orgiaques la fixité D’une prévision première qui est le Destin. Même notre ignorance sert la Vérité ; L’effort de notre ego ne peut changer son cours : C’est pourtant un pouvoir conscient qui agit en nous, La semence d’une idée a conçu nos actes, La Volonté occulte enfanté nos destinées. Infailliblement dirigées par la Vérité Toutes les créatures révèlent leur secret, Pour devenir ce qu’en elles-mêmes elles cachent. Lui qui Est devient manifeste dans les années : La lente Divinité qu’enferme la cellule Monte du protoplasme à l’immortalité. Mais cachée, déniée à notre compréhension, Mystique, ineffable est la vérité spirituelle, Indicible, saisie seulement par l’œil de l’esprit Quand, dénudé de l’ego, il perçoit la Voix ; A travers la lumière, dans une clarté plus grande, Il voit l’Eternité englober l’Existence. Cette Vérité est étrangère à nos pensées Qui cherchent une règle où la Sagesse est à l’oeuvre ; Ou bien nous ne voyons qu’un jeu de Hasard Ou un labeur enchaîné par les lois naturelles, Un absolutisme de Pouvoir ignorant. Ces rois, audacieux dans leur sens de force divine Osent appréhender l’absolu par leur pensée ; Par la pureté abstraite d’une vue athée,

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By a percept nude, intolerant of forms, They brought to Mind what Mind could never reach And hoped to conquer Truth's supernal base. A stripped imperative of conceptual phrase Architectonic and inevitable Translated the unthinkable into thought: A silver-winged fire of naked subtle sense, An ear of mind withdrawn from the outward's rhymes Discovered the seed-sounds of the eternal Word, The rhythm and music heard that built the worlds, And seized in things the bodiless Will to be. The Illimitable they measured with number's rods And traced the last formula of limited things, In transparent systems bodied termless truths, The Timeless made accountable to Time And valued the incommensurable Supreme. To park and hedge the ungrasped infinitudes They erected absolute walls of thought and speech And made a vacuum to hold the One. In their sight they drove towards an empty peak, A mighty space of cold and sunlit air. To unify their task, excluding life Which cannot bear the nakedness of the Vast, They made a cipher of a multitude, In negation found the meaning of the All And in nothingness the absolute positive. A single law simplessed the cosmic theme, Compressing Nature into a formula; Their titan labour made all knowledge one, A mental algebra of the Spirit's ways, An abstract of the living Divinity. Here the mind's wisdom stopped; it felt complete;

Par un percept nu, intolérant des formes, Ils portent au Mental ce qu’il ne peut atteindre, Espérant ainsi conquérir la base du Vrai. Un austère impératif de phrase conceptuelle Architectonique et inévitable Traduit en pensée ce qui est impensable : Découvre les sons premiers du Verbe éternel, La musique et le rythme qui bâtirent les mondes, Et saisit la Volonté d’être dans les choses. Ile mesurent l’Illimitable à l’aide du nombre, Traquent l’ultime formule des choses finies, Vêtent les vérités de systèmes transparents, Rendent l’Intemporel responsable envers le Temps Et évaluent l’incommensurable Suprême. Pour enclore les infinitudes incomprises Ils érigent des murs de pensée et de langage Et créent un vacuum pour contenir l’Un. Ainsi se dirigent-ils vers une cime vide, Un grand espace d’air lumineux et glacé. Pour unifier leur tâche, excluant la vie Qui ne peut supporter la nudité du Vaste, Ils font un chiffre de la multitude, Dans la négation trouvent le sens de l’Ensemble Et dans le néant le positif absolu. Une seule loi résume le thème cosmique, Compressant la Nature dans une formule ; Leur labeur de titans rassemble la connaissance, Une flamme argentée de sens subtil, Une ouïe retirée des rimes extérieures

Une algèbre mentale des voies de l’esprit, Une abstraction de la Divinité vivante. Ici s’arrête le mental ; il se sent complet ;

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For nothing more was left to think or know: In a spiritual zero it sat throned And took its vast silence for the Ineffable. This was the play of the bright gods of Thought. Attracting into time the timeless Light, Imprisoning eternity in the hours, This they have planned, to snare the feet of Truth In an aureate net of concept and of phrase And keep her captive for the thinker's joy In his little world built of immortal dreams: There must she dwell mured in the human mind, An empress prisoner in her subject's house, Adored and pure and still on his heart's throne, His splendid property cherished and apart In the wall of silence of his secret muse, Immaculate in white virginity, The same for ever and for ever one, His worshipped changeless Goddess through all time. Or else, a faithful consort of his mind Assenting to his nature and his will, She sanctions and inspires his words and acts Prolonging their resonance through the listening years, Companion and recorder of his march Crossing a brilliant tract of thought and life

Car il ne reste rien d’autre à penser ou connaître : Dans un zéro spirituel trône sa sagesse Et prend son vaste silence pour l’Ineffable. Tel est le jeu des dieux brillants de la Pensée. Attirant dans le temps la Lumière intemporelle, Emprisonnant l’éternité dans les heures, Ils ont voulu saisir les pieds de la Vérité Dans un filet doré de concept et de phrase Et la garder captive pour la joie du penseur Dans son petit monde de rêves immortels : Là doit-elle résider dans le mental humain, Reine emmurée dans la demeure de son sujet, Adorée, pure, calme sur le trône de son cœur, Sa propriété splendide, chérie et isolée Par les parois de silence de sa rêverie, Immaculée, une blanche virginité, La même à jamais et à jamais une, Sa Déesse vénérée à travers le temps. Ou bien, épouse fidèle de son mental Consentant à sa nature et sa volonté, Elle sanctionne et inspire ses mots et ses actes Prolongeant leur résonance dans les années, Compagne et archiviste de sa marche A travers une étendue de pensée et de vie Découpée, brillante, dans le Temps éternel. Elle est témoin de son étoile triomphante, Elle est la servante d’une Idée couronnée ; Par elle il dominera un monde prostré ; Garante de ses faits et de ses croyances, Elle atteste son droit à conduire et gouverner. Ou bien, comme un amant étreint sa bien-aimée,

Carved out of the eternity of Time. A witness to his high triumphant star, Her godhead servitor to a crowned Idea, He shall dominate by her a prostrate world; A warrant for his deeds and his beliefs, She attests his right divine to lead and rule. Or as a lover clasps his one beloved,

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Godhead of his life's worship and desire, Icon of his heart's sole idolatry, She now is his and must live for him alone: She has invaded him with her sudden bliss, An exhaustless marvel in his happy grasp, An allurement, a caught ravishing miracle. Her now he claims after long rapt pursuit, The one joy of his body and his soul: Inescapable is her divine appeal, Her immense possession an undying thrill, An intoxication and an ecstasy: The passion of her self-revealing moods, A heavenly glory and variety, Makes ever new her body to his eyes, Or else repeats the first enchantment's touch, The luminous rapture of her mystic breasts And beautiful vibrant limbs a living field Of throbbing new discovery without end. A new beginning flowers in word and laugh, A new charm brings back the old extreme delight: He is lost in her, she is his heaven here. Truth smiled upon the gracious golden game. Out of her hushed eternal spaces leaned The great and boundless Goddess feigned to yield The sunlit sweetness of her secrecies. Incarnating her beauty in his clasp She gave for a brief kiss her immortal lips And drew to her bosom one glorified mortal head: She made earth her home, for whom heaven was too small.

La déité que sa vie adore et désire, L’icône de la seule idolâtrie de son cœur, Elle est sienne et ne doit vivre que pour lui : Elle l’a envahi de sa joie soudaine, Une merveille inexhaustible entre ses bras, Un miraculeux attrait, un ravissement. Il se saisit d’elle, après longue poursuite, La seule joie de son corps et de son âme : Il ne peut échapper à sa séduction, La posséder est une immense émotion, Une intoxication et une extase : La passion même de ses états révélés, Dans leur céleste gloire et variété, Rend son corps toujours nouveau à ses yeux, Ou répète l’enchantement du premier toucher, La lumineuse ivresse de ses seins mystiques, Et de ses membres vibrants un champ vivant De découverte qui jamais ne s’achève. Tout à nouveau fleurit en parole et en rire, Un charme nouveau ramène l’ancien plaisir : Il se perd en elle, elle est ici son paradis. Souriante la Vérité regardait le jeu. Se penchant depuis ses espaces éternels La Déesse illimitée feignit de livrer La douceur ensoleillée de ses secrets. Incarnant sa beauté dans cette humaine étreinte, Offrant ses lèvres pour un baiser, à son sein Elle attira la tête glorifiée d’un mortel : Trop petit le ciel, sur terre elle fit sa demeure. Dans une poitrine humaine, occulte elle vint vivre Et l’homme en son propre être sculpta son image :

In a human breast her occult presence lived; He carved from his own self his figure of her:

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She shaped her body to a mind's embrace. Into thought's narrow limits she has come; Her greatness she has suffered to be pressed Into the little cabin of the Idea, The closed room of a lonely thinker's grasp: She has lowered her heights to the stature of our souls And dazzled our lids with her celestial gaze. Thus each is satisfied with his high gain And thinks himself beyond mortality blest, A king of truth upon his separate throne. To her possessor in the field of Time A single splendour caught from her glory seems The one true light, her beauty's glowing whole. But thought nor word can seize eternal Truth: The whole world lives in a lonely ray of her sun. In our thinking's close and narrow lamp-lit house The vanity of our shut mortal mind Dreams that the chains of thought have made her ours; But only we play with our own brilliant bonds;

Elle prêta son corps à son modelage. Elle a pénétré les confins de la pensée ; Elle a supporté que sa grandeur soit pressée Dans la petite cabine exiguë de l’Idée, La chambre close d’un penseur solitaire : S’abaissant jusqu’à la stature de nos âmes, Elle a ébloui nos paupières de son regard. Ainsi chacun est-il satisfait de son gain Et se croit béni par-delà les mortels, Un roi de vérité sur son trône séparé. A son possesseur dans le champ temporel Une seule splendeur de sa gloire semble être L’unique lumière vraie, et l’entière beauté. Mais la pensée ni le mot ne peuvent la saisir : Le monde entier n’habite qu’un rayon de son astre. Dans notre étroit logis à la clarté d’une lampe La vanité de notre mental humain rêve Que les chaînes de la pensée l’ont rendue nôtre ; Mais nous ne faisons que jouer avec nos liens ; L’attachant, c’est nous-mêmes que nous enchaînons. Hypnotisés par un point lumineux, ignorant Quelle petite effigie nous tenons d’elle, Nous ne sentons pas son inspiration infinie, Nous ne partageons pas sa liberté immortelle. Il en est ainsi même du voyant et du sage ; Car l’humain limite encore le divin : Hors de nos pensées nous devons jaillir à la vue, Respirer son divin air illimitable,

Tying her down, it is ourselves we tie. In our hypnosis by one luminous point We see not what small figure of her we hold; We feel not her inspiring boundlessness, We share not her immortal liberty. Thus is it even with the seer and sage; For still the human limits the divine: Out of our thoughts we must leap up to sight,

Breathe her divine illimitable air, Her simple vast supremacy confess, Dare to surrender to her absolute.

Admettre sa simple et vaste suprématie Et oser nous soumettre à son absolu.

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