journal d'une transition
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Ce n’est qu’en s’élevant assez haut, en plongeant assez profondément, et en s’unissant à cette conscience si essentielle qu’elle peut tout englober, ce qui est manifeste comme ce qui est non manifesté, et en la tournant vers le monde, que peut s’établir une pression s’exerçant sur tous les points à la fois…
*19-7-2000, Auroville : Peut-être à cause des formations qui continuent de peser sur moi, je suis constamment à la merci d’un doute très corrosif : non ce doute de la Présence et du Réel – ça, c’est impossible – mais le doute que je puisse jamais Le servir, Te servir ; que je puisse jamais devenir un instrument fidèle, un corps ou un membre ou un rayon de Cela… … Il y a le souvenir brûlant comme un trou de flamme au centre de la vie même, ce souvenir physique, entier, plein de Ta Présence corporelle et de la Pression qui était partout dans l’air même, dans nos corps et dans chaque instant, cette Pression qui plongeait comme un glaive de diamant et ouvrait l’univers à une éternité consciente et une infinité du Possible et une tendresse sans limites : la fin de tous les murs. Et, depuis, le retrait de cette Pression a causé, par sa puissante absence, comme le sens d’un mime pitoyable, d’une représentation creuse, inapte à progresser. … Je voudrais tant rendre le don qui m’a été fait, tout au long de cette vie, le rendre au monde, à Cela, comme à ceux qui m’ont aimé : je voudrais tant pouvoir donner, transmettre, canaliser quelque chose qui vaille la peine… Et maintenant que même l’œuvre de Matrimandir me semble comme adultérée – comme si ce n’était plus le lieu d’un avènement auquel on puisse adhérer sans réserves -, il faut, il faut trouver la clé d’une circulation de la conscience. Il me semble que si je ne la trouve pas, si je n’en suis pas digne ou capable, alors cette vie cesse d’avoir un sens et il vaudrait mieux la résumer, la rassembler autour de l’expérience de Ta Présence, et l’emporter : nettoyer les traces, réunir l’essentiel, et conclure. Et pourtant, je me sens aussi, plus même qu’il y a trente ans, prêt à commencer, prêt à aborder un chemin qui s’annonce, prêt avec mon corps – même si la trahison de l’âge intervient ici et là. Soaz, en visite avec Samuel, me parle de la situation physique dans la région de la France où elle habite et travaille comme institutrice ; elle m’a expliqué comment elle doit désormais veiller à soigneusement filtrer l’eau qu’ils boivent car, dans cette partie de la Bretagne, l’eau puisée n’est plus potable : la nappe phréatique est empoisonnée par un excès de nitrates infiltrés par les pluies saisonnières, à cause des pratiques sauvages d’un nombre croissant d’éleveurs et de fermiers ; en particulier les éleveurs de porcs, qui enfreignent la loi en élevant plus de porcs qu’ils n’ont de terres pour y étendre le lisier ; c’est-à-dire que, pour un gain monétaire immédiat, beaucoup de fermiers bretons choisissent sciemment et délibérément de poursuivre des pratiques dont les effets sont destructeurs à plusieurs niveaux de vie : ils élèvent des animaux dans des conditions d’indignité évidente, pour la seule valeur commerciale de leur corps tués ; puis, plutôt que d’utiliser le lisier pour le bien de la terre, ils l’épandent en si fortes concentrations que le sol et les eaux souterraines s’empoisonnent et empoisonnent à leur tour combien d’espèces vivantes…. C’est le portrait de cette barbarie moderne qui prend et prend et prend encore et ne donne rien, et s’étouffe lentement de ne rien donner, et se déshumanise sans se dépasser. Et ici dans l’Inde, nous avons les villageois subventionnés par le gouvernement qui inondent leurs champs de casuarinas, de cajous ou de canne à sucre, en y versant
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