journal d'une transition
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Cela peut même annuler une douleur tout à fait physique, comme lorsqu’on se heurte violemment ou se blesse, et je crois que, dans une certaine mesure, cela peut aussi annuler les effets physiologiques.
*12-7-2000, Auroville : Jérôme d’Astier m’a envoyé deux petits livres qu’il vient de publier l’un après l’autre ; le plus récent de l’indignité spécifique au milieu de la prostitution masculine, et de l’horreur des sévices qui y sont infligés à ces gosses qui se laissent prendre dans l’engrenage. C’est un ouvrage que je trouve remarquable, et justement d’une grande dignité. Il s’agit d’un adolescent, de ce type physique aux cheveux très roux et bouclés et à la peau très blanche, dont la sexualité semble se défier des caractéristiques corporelles trop définies, et dont la vie émotionnelle a secrètement dominé l’évolution de la personnalité ; enfant adopté, il s’éprend à l’école de son professeur, lequel ne peut, de par sa propre nature, répondre à cette passion. C’est alors qu’il s’exile et plonge dans la fange de la ville, cherchant à y perdre tout respect de lui-même ; il demeure pourtant, à travers toute l’ignominie, comme protégé intérieurement par la force et la constance mêmes de cet amour impossible, tel un espoir irrépressible. Et, depuis cet enfer, comme une offrande de vérité, il écrit à cet homme, ce professeur inatteignable, lui disant tout – tout ce qu’il éprouve, mais aussi tout ce qu’il vit. Le professeur est lui-même engagé dans un mouvement de transition inconnu, ayant décidé enfin de se retirer du système éducationnel prévalent, le jugeant contraire aux nécessités d’un développement véritable de l’individualité ; de plus, sa compagne de plusieurs années attend un enfant, qu’ils ont tous deux désiré. Elle l’encourage à répondre à cet adolescent meurtri, l’invitant à séjourner auprès d’eux. C’est ainsi que cette première densité de souffrance et de manque affectif est comme inexorablement menée vers un degré plus tragique de l’impasse car, alors même qu’une partie de son impossible rêve se réalise et qu’il lui est donné de pouvoir exprimer son amour par un dévouement entier de tout son être, lui est aussi démontrée la supériorité de la femme qui seule détient le pouvoir et les attributs nécessaires pour recevoir et nourrir cet amour qui le hante. Au bout du chemin, fuyant dans la nuit vers sa propre destruction, c’est au moment même où l’homme, enfin touché, est prêt à se rendre et à s’unir à lui dans une tendresse qui enfin l’accepte, que la foudre le frappe, juste là, à portée de bras, et qu’il s’écroule inconscient contre la poitrine adorée. Et donc c’est encore une fois la négation de la réponse. Mais quand nous savons qu’il n’existe rien autre que le Suprême, que la seule réalité est le Suprême, et que nous sommes chacun le Suprême à la recherche et la découverte de Sa propre plénitude manifeste, alors devient-il impératif de trouver la réponse vivante à l’obstacle, l’impasse ou la contradiction, à la mort ; et la réponse ne se trouvera pas dans plus de morale, ni dans de la morale perfectionnée : la réponse ne se trouvera que dans plus de conscience, plus de présence, plus de courage et plus de vérité. *17-7-2000, Auroville : Tant que nous demeurons ancrés au linéaire, comment pouvons-nous devenir conscients d’une solution durable ? Le linéaire, c’est la mécanique de l’usure, le spectre de l’ennui, l’inévitabilité de la mort.
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