Un Parcours
jamais (l’appellation d’asura ne s’efface jamais, elle peut s’étioler et sembler disparaître ou s‘effacer, mais elle demeure toujours disponible et prête à l’usage). Une fois, ce fut moi qui arrêtai Madanlal H. en bas du Matrimandir et lui demandai de rebrousser chemin tant qu’il ne changerait pas ses revendications – et il fut digne et honorable et s’en retourna sans une protestation ; ce fut moi aussi qui allai à Thomas pour lui intime r de ne plus venir travailler avec nous tant qu’il continuait de recevoir une assistance de la Société, et pourtant j’ai toujours gardé de l’affection pour lui, comme il le sait. Je n’ai jamais su à quel moment ni comment D. a mûri et formé sa décision, sans jamais ne m’en laisser rien deviner. Elle a dû d’abord s’assurer de l’accord et de la coopération des membres de sa communauté de Jaïma, où vivaient ses trois premières filles et son ancien compagnon. Elle était capable de duplicité, capable de mentir, mais je devais être bien obtus pour ne m’être aperçu de rien. Probablement elle jugea que rien de positif ne pouvait émerger d’un dialogue ouvert, étant données les pressions qui s’exerçaient. Un matin, un midi plutôt, je rentrai de Pondichéry avec des provisions : Nataraj, l’un des trois jardiniers, m’attendait, le visage triste et contrit pour m’annoncer que D. avait fait venir un char à bœufs, y avait chargé toutes ses affaires et celles d’Auragni et avait tout emporté. J’entrai dans la maison ; tout était en ordre, mais il manquait tout d’elles. La seule chose, le seul objet que D. avait laissé, par oubli ou à dessein, je n’en savais rien, était une petite s tatuette en bronze de Ganesha (presque toujours, lorsque quelqu’un voulait m’offrir un prése nt, c’était une image ou une statuette de Ganesha !) ; posée à sa place au milieu de la table basse. Un écroulement, un coup de masse, un assaut de négation, un vide abrupt et sans fond, une faillite de l’existence ?
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