Un Parcours

L’hiver nous attendait, dans notre masure de pierre. Mais il ne fallut pas deux mois à Krishna pour parcourir la distance du Sénégal à l’Ethiopie. Il lui sembla alors que l’expérience demeurait incomplète si je n’y participais pas, si notre amitié n’y était pas présente. Il m’appela. J’étais plutôt déchiré, car je me sentais assez responsable du bien être du petit Cyril, qui ne pouvait comprendre ce soudain éloignement ou départ, mais le lien avec Krishna portait comme le sceau du sacré, et notre amitié ou amour était aux pieds de Mère. Je pris l’avion pour Adis Abéba , puis le train jusqu’à une ville du Sud de l’Ethiopie : je le vis s’avancer sur le quai de la petite gare, vêtu à la musulmane, une ample gandourah blanche et or, un turban – et pourtant toujours je le retrouverais dans les foules, lui en qui je pouvais loger comme il pouvait loger en moi. Nous partîmes sur les routes, à pied, notre sac à l’épaule. Nous marchâmes jusqu’aux grands lacs d’Ouganda, et gravirent les collines du Rwanda, puis du Burundi. Notre couple ne pouvait guère passer inaperçu : parfois nous dormions dans quelque abri pour voyageurs et, quand il faisait froid, nous nous serrions encastrés l’un contre l’autre (toujours et quoi qu’il arrive, il y avait cette incandescence tranquille entre nous deux, mais ce n’était pas sexuel, je n e sais pas comment la définir, c’était plus profond et plus fort en même temps), mais une fois parvenus au Rwanda, nous logions souvent chez des « coopérants », comme on les appelait alors, des hommes surtout qui étaient postés là en lieu de service militaire, pour enseigner ou gérer des projets, en parallèle des nombreuses missions qui faisaient leurs « bonnes œuvres » - et il y en avait de toutes les dénominations, sur chaque colline on en trouvait ; ces gens étaient bien nantis, mangeaient cinq repas par jour, cela nous faisait rire et nous fortifiait ! Il y avait dans cette région deux peuples très différents et ce sont ceux du plus petit – petit de taille, presque pygmée – qui dansèrent à notre rencontre : ils nous avaient devinés ou identifiés par messagers, je ne sais pas, mais ils nous attendaient à un tournant de la route pour nous offrir une grande et intense démonstration dansée de bienvenue…

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