Un Parcours

Le purgatoire de l‟exil

Gabriel était un gars sans complications, élevé dans son métier, qui avait du projeter sur Auroville l’image d’un grand chantier communautaire où chacun contribuerait son savoir et ses capacités ; les idéaux ne lui parlaient guère, ni les débats d’opinions ; il venait d’une petite bourgade voisine du Mont Saint Michel, un lieu qui m’était cher. Nous fîmes bonne équipe, traversant l’Inde en diagonale, sans chercher particulièrement à « voir » quoi que ce soit, naviguant d’une foule à une autre, négociant les routes à condition variable, encaissant la chaleur sans trop se plaindre ; c’était l’occasion pour moi de tout laisser en « vacance », dans une sorte de neutralité assimilatoire, la tête vide. Approchant de Delhi, j’eus le besoin de changer de mode ; Gabriel pourrait sans encombres continuer la route et trouverait facilement un co- équipier, et j’eus le désir de connaître un peu au moins les Himalayas avant de quitter l’Inde ; nous nous séparâmes gentiment et je pris le bus pour Manali où, curieusement, je rencontrai une jeune femme qui avait aussi reçu une aide financière de Sylvina pour ses projets et s’était acheminée avec ses amis dans une grosse voiture jusqu’aux contreforts des géants (elle était la fille d’une comédienne réputée, Danielle Darrieux) ; je crois que nous fîmes ensemble au moins une excursion jusqu’à la frontière du Tibet (déjà envahi par la Chine), ce n’était pas beaucoup, mais je pus absorber les senteurs, les visages, les regards, la lumière - la limpidité de la lumière - et la qualité du silence. J’avais une sorte de hantise devant ce retour en France que je ressentais comme une chute physique dans un espace inférieur,

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