Un Parcours
déjà éprouvée depuis la petite enfance, mais à présent déclarée dans mes émotions et ma sensibilité, ou ma sensualité. Je n’étais pourtant ni bavard ni démonstratif, mais les amitiés et les liens se formaient comme d’eux -mêmes, chacun avec son propre caractère et sa propre atmosphère ; il y avait d’abord Stéphane : par une sorte de miracle, sans y réfléchir, nous sommes devenus chers l’un à l’autre et nous retrouvions souvent tous les deux seuls, chez lui surtout où il avait sa chambre, nos deux corps libérés, nos deux sexes dressés l’un à l’autre (la mère de Stéphane raconta à Colette un jour comme elle avait été émue de nous surprendre un matin, encore endormis enlacés) ; il y avait Nicole, une jeune fille plus âgée, qui fumait déjà à la sortie des classes, brune, élancée, ses beaux yeux bruns cernés, sa démarche, son écoute, son affection ; il y avait Guillaume aux yeux pers, une formidable attraction sans espoir ; et plusieurs autres qui occupaient des niveaux ou des degrés de proximité différents. Tout était chargé d’intensité, même ces moments d’ « ennui » adolescent étaient intensément pénibles ; les attirances étaient pour la plupart douloureuses et coûteuses ; les questions informulées faisaient pression comme de tous côtés ; parfois, la qualité de la pression changeait ou se déclarait autrement et je sentais conscrètement une autre position au-dessus, exactement au- dessus de la tête, que j’ai essayé de décrire à Colette à une ou deux reprises comme un autre « moi-même » qui me guidait, ou guiderait, ou savait – qui connaissait le chemin à suivre. Dans mes poèmes, je demandais ce qu’étaient la vie et la mort, qu’était -ce donc que cette cloison, cette autreté ? Et l’homme ou la femme, alors ?
Cette adolescence était une épreuve continue, une pesanteur obscure des déterminismes biologiques et des blessures
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