journal d'une transition

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Je ne sais toujours pas, après toutes ces semaines que nous avons vécues ensemble, s’il s’agit maintenant d’un départ imminent, ou si cette nouvelle expérience s’inscrit pour C dans un cheminement et un progrès de conscience en avant, par une nouvelle phase de vie corporelle… Cela a été, cela continue d’être, vraiment, une bataille… Je n’ai rien noté, rien écrit, depuis… je ne sais plus… Je n’ai avec moi ici qu’une chemise de rechange (C devait partir tout de suite pour Paris et moi rentrer à Auroville !) Et maintenant ? … J’ai rencontré les docteurs. Voici le bilan : les deux poumons sont atteints ; le poumon gauche avait déjà une lésion ancienne, tandis que le poumon droit a été atteint pendant l’anesthésie et l’isolation, au cours et à la suite de la dernière opération en Novembre dernier ; cette double faiblesse pulmonaire a donc exposé C à une infection (une pleurésie) qui n’a pas été entièrement éradiquée par le traitement de Datta ; la nausée est le résultat de l’un de ces cercles vicieux typiques de toute l’approche thérapeutique officielle – vulnérabilité intestinale après l’opération et aérophagie, aggravées par les traitements médicamenteux qui ont suivi et par le refus de C de se nourrir suffisamment de crainte de vomir… D’après eux, C devrait être en état de voyager après quelques jours ; mais ils doivent d’abord stabiliser son niveau de potassium et d’oxygénation du sang. Et naturellement, selon le cardiologue, la situation est telle maintenant que l’âge joue contre elle… Voilà pour le panorama médical… Ce que je souhaite encore, ce que je continue de souhaiter, de mon côté, c’est que C se remette de cette épreuve suffisamment pour s’engager dans la dernière phase de sa vie corporelle avec plus de conscience et de réelle tranquillité, et d’amplitude et de concentration à la fois. … Je dois m’en remettre à la Grâce directement… Il y a, pour grossir les choses, un conflit entre deux issues : l’une est cette formation de désastre, de défaite et de désagrégation, non seulement du corps, mais de la situation et de la conscience – c’est une formation que R a exprimée très crûment un jour récent à Paris, alors que je l’accompagnais à la banque, « tu assistes à un désastre », avec toute la densité psychologique correspondante. L’autre est une issue progressive, faite de paix et d’un regard qui s’éveille, d’une force d’harmonie qui conduit tout et chaque élément à sa fruition, à son meilleur, et s’exprimera nécessairement par un rassemblement, une concentration tranquille, et un retrait conscient de l’état corporel, laissant une situation accomplie… Ce qui est peut-être le plus pénible à présent, c’est que nous nous trouvons comme entre les deux ; C doit retrouver sa confiance, mais cette médicalisation intensive l’a comme aliénée d’elle-même. J’en reviens toujours à ce point : ce qu’il aurait fallu éviter, c’était cette seconde opération, en Novembre ; depuis ce moment, c’est une lutte de chaque instant pour remonter la pente… J’ai toujours cette référence intérieure – comme des images du passé – d’une mort simple : digne, sans faiblesse ni peur, sobre. Et en cette époque où nous sommes maintenant, un certain type de connaissance mentale et pratique s’est développé de manière si poussée et si aigue et si fragmentée à la fois, et avec un tel pouvoir d’hypnose et de conviction, que c’est comme si on ne savait plus mourir, on ne savait plus s’en aller. Cela fait sûrement partie d’une transition collective et d’un apprentissage : car nous allons nécessairement vers un état de conscience où non seulement la défaite du corps sera vécue autrement, mais elle cessera d’être inéluctable.

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