journal d'une transition

8

Je n’avais pas prévu de tout trouver là. J’étais sur ma lancée qui ne savait pas que ce serait là. Le mouvement du voyage était trop inscrit. Fabienne et moi souhaitâmes aller nous promener dans le Sud, et demandâmes Sa permission. Elle nous reçut encore ; Fabienne, Son arrière petite-fille, avait besoin encore de cette expression d’affection simplement humaine ; après tout, c’était là sa famille physique, Françoise était sa tante, et j’étais l’ami qu’elle avait choisi et présenté… Mère nous donna Ses bénédictions en disant : « Bien. Alors, j’espère que vous verrez beaucoup de choses intéressantes… » Nous partîmes tous deux en un pèlerinage rapide aux grands temples du Sud, en passant par les réserves sauvages du Kerala, où Fabienne m’attendit deux jours dans une maison forestière : vêtu de noir, écharpe et « longi », un groupe de pèlerins pareillement vêtus se méprirent sur mes intentions et insistèrent pour que je me joigne sans tarder à leur marche jusqu’au petit sanctuaire d’Ayappa au fond de la forêt. Longeant l’océan, reposés par l’atmosphère plus contemplative, presque japonaise, du temple tout de bois de Trivandrum, nous rejoignîmes l’extrême pointe de l’Inde, au Cap Comorin, la foule dense et joyeuse dans les vagues des océans au soleil couchant, avant de nous arrêter un peu à Rameshwaram, sa presqu’île silencieuse, animée comme un inspir par les colonnades de son temple. De retour à Pondichéry, je crus ainsi qu’il était temps pour moi de repartir, de continuer, muni maintenant de la dimension manquante, comme pour poursuivre ma récolte, le glanage dont je rapporterais les fruits à ceux que j’avais laissés… J’écrivis à Mère mon intention, Lui demandant Ses bénédictions. Le 8 Janvier 1970, Elle m’écrivit en retour, dans une enveloppe marbrée de rose, marquée « à Didier » de Sa main, que Françoise me remit : « Chacun porte le Divin en lui-même ; un Divin qui voit et sait tout quoi qu’Il soit invisible ; un Divin qui est prêt à devenir le guide infaillible si on apprend à L’écouter. Bénédictions. Mère. » Je fis mon sac. On me souhaita bon voyage ; avec beaucoup de gentillesse, d’amitié, et peut-être quelque chose d’un peu moqueur dans les regards, un amusement très discret, chaleureux aussi. Je pris le bus pour Madras, où j’espérais trouver un bateau en partance. Sur la route deux choses se produisirent. La première : l’expérience qu’il n’y a rien d’autre que le Divin, ou, positivement, de la présence concrète du Divin, du Seigneur, en toute chose, en chaque atome - indubitable, indiscutable, radicale. La deuxième : la réalisation – un peu honteuse mais soulagée – de mon imbécillité, de cette ridicule vanité qui m’avait fait persévérer sur « mon » chemin de gnome, ce crétinisme obstiné insistant sur ses propres termes obtus alors même que la porte s’était ouverte sur tant de vérité et que le vrai travail m’avait tendu la main. Je pris le prochain bus de retour. Le Japon, oui, c’est là, ou plutôt jusque là, que j’avais prévu d’aller. Comme un aveuglement qui subsistait, qui tenait encore les rênes.

Made with