journal d'une transition

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Quand elle connut mon intention de me rendre bientôt en Inde, elle m’informa qu’elle y allait souvent, car sa « grand-mère » y dirigeait un « ashram », et que nous pourrions donc ; si je le souhaitais, nous y retrouver début Décembre. Avec l’adresse elle m’apporta un jour un petit livre, l’ « Anthologie de l’Amour », que je ne fis, je crois, que feuilleter. C’était Septembre quand nous nous sommes rencontré. Je partis début Octobre. S.B me retrouva à l’aéroport. Nous n’avions chacun qu’un sac à l’épaule. D’une Beyrouth encore intacte, nous traversâmes les forêts de cèdres pour atteindre la Syrie. Nous vécûmes quelques jours d’une intensité partagée dans la ville ancienne de Damas. Alors S.B ressentit que ce chemin sur lequel confusément je m’avançais n’était plus, n’était pas le sien. Vêtue de la tunique chatoyante que je venais de lui offrir, elle me laissa. J’étais seul à nouveau, tourné vers l’Inde, retournant à l’inde. J’étais comme un nœud à offrir. Echoué un moment sur les sables rutilants de Kuwait City, je tentais de me rassembler pour le saut qui m’attendait. Puis ce fut la moiteur de Bombay, la matrice, la créatrice d’une infinité de formes et de véhicules pour le Soi. Dans le sommeil d’une nuit, j’eus cette expérience : « Entre, mon enfant ! ». Une qualité de rondeur dans le silence. L’empreinte de vies, d’une époque où l’équilibre, la proportion entre la capacité des consciences et leur nombre, était plus propice à l’harmonie. De l’autre côté dans la plaine du Tamil Nadu, un sâdhu dont le regard attentif m’avait tenu compagnie, sans rien me dire fit arrêter l’autobus à l’entrée de l’ashram de Ramana Maharshi et, en un geste d’une douce fermeté, m’ordonna de descendre. Ce furent là quelques jours et nuits de paisible décantage, où je pus apprécier la grande présence de cet être incomparable, dont la trajectoire comme une rivière de métal en fusion ouvrait à cette réalité comme une émotion de l’âme, son mouvement de flamme donnée qui transcende l’espace et le temps. Je parvins à Pondichéry le matin du 2 Décembre. On m’indiqua le bâtiment principal de l’Ashram et, de là, la résidence de Françoise (que Mère re-nomma plus tard Pourna Prema), un bel espace aménagé en haut d’une vaste demeure coloniale, ouvrant sur une grande terrasse à demi couverte ; un gentil homme, le serviteur Tamil, me fit asseoir dans la fraîcheur ombrée, où je fumai l’une de mes dernières Gitanes. C’est ainsi que Françoise me trouva, ignorant des règles ; mais au moins j’avais, depuis Kuwait, le cheveu ras. Fière, somptueuse, quelque chose d’Egyptien dans le visage et le port, pommettes hautes, de grands yeux verts, les cheveux noirs ramassés en un chignon roulé ; altière mais légère, joueuse aussi ; une longue robe blanche comme un fourreau laissant ses bras nus. Je suivis les repères de la route, rendis comme un dernier hommage à un mode de vie qui avait peut-être ses vertus mais me semblait comme une paralysie, en passant par les plages de Goa. Puis, les montagnes du Deccan.

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