journal d'une transition

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soit condamné à la fausse vie, à se soumettre à des nécessités dont pourtant, de tout son être, on questionne le fondement. Et même si un jour on accepte, on se rend, on fait « comme tout le monde », quand vient l’heure de mourir encore, de quitter le corps, l’on regarde et l’on sait : « non, ce n’était pas ça ! ». Là non plus, l’ignorance n’est pas victorieuse ; elle a seulement dévoré un corps de plus, une vie de plus, mais elle n’a pas dominé l’âme, elle ne se l’est pas acquise. Parce que les êtres qui nous entourent, qui s’occupent du corps lorsqu’il est petit et s’attachent à la vie de l’être qui l’anime et l’habite, sont rarement capables d’expliquer la situation réelle, ont rarement réalisé en eux-mêmes ce que diable nous faisons tous là, même s’ils ont de la bonne volonté et de l’aspiration et un grand besoin, alors cela prend du temps, on erre et on se cogne et on souffre. Et pendant des années, il n ’y a guère d’alternatives : la révolte ou le désespoir, l’obéissance ou la fuite, la foi ou le cynisme… Si le climat est favorable, déjà « orienté », alors des qualités plus profondes peuvent affleurer et donner une certaine valeur à la vie extérieure, ainsi le dévouement à un idéal, le service, ou la créativité. Mais cela demande déjà des circonstances encore exceptionnelles. Et puis, quelquefois, c’est comme si, malgré même la bonne volonté de l’entourage immédiat, il y avait une volonté lucide de plonger, une attraction du contraire, un besoin presque de détruire tout ce qui peut être détruit en soi-même, comme pour rejoindre par un raccourci un peu… sévère, l’appel essentiel, cette place quelque part, là, où l’on manque, où l’on sait que ce manque est la seule vérité, l’empreinte brûlante de la vérité… Et puis il y a ceux qui, peut-être parce qu’ils l’ont déjà compris une fois, ou même beaucoup de fois, portent avec eux une tranquillité plus humble, comme habitée presque en dépit d’eux-mêmes et des choses par une confiance qui les aligne à un rythme plus clair et les guide, d’un hasard à l’autre, jusqu’au point de reconnaissance. Mais même pour ceux-là, les difficultés ne sont que reportées, elles ne sont pas supprimées.

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*Décembre, 1971, B. : La sincérité est toute petite, flamme lointaine au sein de ces actes un peu confus, et pourtant, chaque seconde, s’exprime le manque de cette aspiration, en moi et dans les autres… A présent j’éprouve une joie pleine et entière à méditer profondément ; il semble alors que la vie, même dans son état actuel, ait une merveilleuse raison d’être ; alors l’aspiration est régulière et la Force est présente comme un Ami parfait. Je T’appelle moins souvent. Depuis que j’ai repris le tabac, il m’est presque impossible de rester au plus haut. J’essaie surtout de présenter à la lumière une certaine qualité obsessionnelle qui me rendait la soumission trop pénible pour être joyeuse et tranquille comme Tu le veux.

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