journal d'une transition

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-1971–

*24-4-1971, Kenya : Mâ.

Il faut que j’apprenne à Te parler, pour que Ton silence vienne. Aujourd’hui j’ai tourné le dos à l’océan qui me sépare de Toi. Le dernier bateau a quitté le port et Tu ne m’as pas rappelé.

J’ai appris que je devais bannir tout désir de retourner là où Tu rayonnes, et que ce lieu béni entre tous sur la Terre devait être pour moi un objet d’adoration et de contemplation dans le détachement tranquille d’un enfant libre, d’un serviteur silencieux chaque jour plus conscient de Ta Présence… Sois Kali, sois Durga, brise cet être mental si vain et satisfait, Mère, cette chose qui bouge et s’affirme sans cesse, cette médiocrité installée qui fait tant de souffrance, alors que les monceaux de Ton Amour, des cascades de lumière attendent là, au- dessus, physiquement posés à l’ouverture de la tête… ; que cet animal de ténèbres abdique et se tourne vers Toi pour être dissous, que ce mental se taise… ! O Mère, un peu qui descend, une goutte de cette vie divine, et c’est cette certitude totale, claire, pure, infinie, cette certitude ouverte, qui voit, libre, lumière sur la Terre, dans la Terre… Ce rire vers lequel des millions d’années ont peiné. Alors il faut écarter les côtes, ouvrir sa poitrine, offrir son ventre, apaiser ses jambes, appeler doucement, aspirer dans la paix du cœur pour s’unir, dans une sincérité qui se répand, à Cela qui touche et transforme, surveille, organise et conduit chaque parcelle, chaque détail, chaque forme de la vie… Montre-moi, je suis enfermé dans la cave de mon corps et ne cherche plus à en sortir ; quelque part le choix a été fait de rester dans l’obscur, identifié à l’obscur, pour T’y appeler et m’y tourner vers Toi… Mais, cela : Tu es là, toujours, Tu baignes mon cœur, l’emplis et le contiens, Tu es là, parfois si puissamment que je Te sens dans le corps entrer et pousser, travailler. Puissance inconcevable qui peux Te ramasser en un point de Toi Même pour lutter contre le passé ignorant et le transfigurer… Toi qui charries la lumière par tous les mondes et travailles l’univers entier, Tu Te tiens et tout Ton Amour dans le cœur et la vie de chacun de Tes enfants… Je voudrais pour chaque instant, pour chaque geste quotidien, m’unir à Ta Volonté ; je suis là, comme un aveugle et un infirme, me demandant à tout moment ce que je dois faire, pour chaque acte arrêté devant l’alternative : agir pour Toi ou agir pour l’ego. Et je ne sens rien et je vais errant et pourtant sûr que Tu me conduis, le nez et les pieds dans ce marasme, Toi toute Une de Vie me couvrant dans mon inconscience, m’apprenant à travers chaque circonstance Ta leçon. Que ma gratitude s’exprime par mon devenir…

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