journal d'une transition

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Aucun individu en Europe, exceptés ceux que l’on s’est empressé de qualifier de « saints », n’a pu et ne peut mener aussi loin que les Indiens une volonté d’expérience, laquelle, chaque fois, est originale… La pluie tombe encore, les champs alentour sont inondés, les singes se réfugient sur les toits. *30-11-1969, Thiruvanamalai Je réalise le danger et l’inanité de l’ego, et comme il peut se nourrir de tout. Je me rappelle avoir dit à ma mère, il y a plusieurs mois, que je sentais en moi un Maître, qui était un être plus vaste, une source pérenne et immuable au-dessus, auquel je devais me soumettre, dont j’étais le disciple… ; je craignais, en formulant ceci, d’exalter cet ego… Mais je vois maintenant que, peut-être, je sentais juste. Je suis frappé par l’extrême indépendance de chacun, dans l’ashram. Nul n’est astreint à des règles sociales. Deux paons dont la gorge bleue a la vivacité du saphir, marchent dans les allées. Il fait frais et les feuilles retiennent encore des gouttes d’eau. J’ai tant de choses à faire… Chaque nuit je fais un rêve homosexuel… Je me demande ce que je vais trouver à Pondichéry, à l’Ashram de la Mère…

*1-12-1969, Thiruvanamalai : J’attends le bus pour Pondichéry… Des questions se bousculent dans ma tête… L’évolution, l’ego, la science, l’utilisation du mental, l’espace-temps, l’illusion… Le bus arrive.

*7-12-1969, Pondichéry : Hier, la Mère a donné à Fabienne une rose jaune, « la Paix », et pour moi une rose rouge, « la Passion humaine changée en Amour pour le Divin ». Je n’ai rien écrit depuis une semaine, tant j’avais à lutter contre un flux d’impressions négatives. Enfin, je suis passé au-delà. La Mère est venue en moi. J’ai souhaité, j’ai voulu, j’ai demandé avec toute l’ardeur et la soif qui me tenaient, depuis mon épuisement, que la Mère me guérisse… Je sors peu à peu, douloureux, du piège qui m’avait saisi. L’être psychique… La Mère ne reconnaît que deux voies : la recherche intérieure, obstinée, allant se purifiant vers la délivrance et l’union totale au dessein divin ; le laisser-aller, l’abandon complet, sans compromis, dans la confiance, à la Mère divine, comme le chat qui est porté par sa mère et n’oppose aucune résistance car il sait qu’elle a raison d’agir ainsi, même s’il ne peut en comprendre toujours les motifs et les buts…

J’ai soupçonné la supercherie, partout alentour et au centre. Elle doit nous recevoir mardi et je crains de faire l’imbécile… Tout est en Elle aujourd’hui, tout dépend d’Elle.

Ce qu’est l’Ashram… quelle importance ? Son aspect m’a déprimé jusqu’à maintenant, et pourtant, lorsque Fabienne est arrivée, nous n’avons cessé de sourire, aux murs blancs, pâles, lumineux de calme, à la mer, aux visages, et les contacts se sont établis sans heurts, directement et sainement. La Mère est là. Partout où Elle me mènera je pourrai, si vraiment j’y aspire, La retrouver et La sentir.

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