journal d'une transition

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C’était la mi-Mai quand je revins à Paris. Cette effervescence, le sens qui lui était donné, l’aspect revendicateur, les slogans faciles, les discours inutiles – cela ne m’attirait pas. Je fus, comme un animal blessé, penser mes plaies dans le silence de la Bretagne. Puis, d’Israël, je reçus d’O un appel au secours ; égarée entre la drogue et la loi, elle ne savait plus comment revenir d’Haïfa. Je la retrouvai à Jérusalem, sur l’avenue qui ceignait les remparts et nous vécûmes dans la ville arabe et, plus tard, sur la plage d’Eilat, comme tant d’autres, face à l’Egypte. Il me manquait un ressort pour passer. Ce ne fut qu’au début de l’année 1969 qu’une flambée de joie solaire se mit à crépiter sans bruit dans certains regards et certains gestes ; je n’étais plus seul – il y avait un Sens. Et cela, sans mots, pouvait se partager. Cette sorte de présence/absence au-dessus devenait comme un gonflement dans la poitrine, une sorte d’aise et de tranquille allégresse. On pressentait un chemin, et une communauté de chemin. Les moments, les rencontres, étaient pris dans un même rayon, animés d’un même courant. Mais persistait comme l’appel d’un centre, d’une source, pareil au magnétisme qui oriente l’aiguille de la boussole. Il fallait que je reparte, vers l’Est. L’Inde d’abord ; dépasser cet échec. Puis, peut-être, le Japon, les monastères ? Je voulais rapporter une clé manquante, le contact d’un axe de travail, pour qu’on puisse s’organiser, que nos actes en soient éclairés. Pour gagner l’argent nécessaire à ce nouveau voyage, il me fut confié un travail de recherche documentaliste, sur le thème de l’athéisme et des diverses approches du divin dans la culture occidentale – que j’accomplis comme une tâche ironiquement propitiatoire. Mais l’argent ainsi acquis, je pus le donner à A.F, qui s’était logée dans ma vie un peu comme une épousée, quand l’heure du départ approcha. Car, par mon ami C.V, je venais de rencontrer S.B : la cascade d’une lourde chevelure rousse, un grand corps incertain, un visage sans pareil, aux plans immobiles, désespérée mais offerte, pleine d’une attente bouleversante. Héritière d’une grande fortune, elle errait de lieu en lieu avec pour double discipline de distribuer l’argent à des groupes révolutionnaires et de ne porter que les vêtements qui lui étaient offerts. Elle ne trouvait guère mes élans crédibles, mais elle me « voulait du bien ». Et elle m’accompagnerait un bout de chemin, juste parce qu’on était bien ensemble. Je ne voulais pas refaire la même route ; j’avais choisi de repartir par le Liban, la Syrie, l’Irak, de revenir à l’Inde depuis ces terres ancestrales. Mais où, dans l’Inde, irais-je ? Je n’en savais rien. Quelques semaines avant le départ, un garçon que je venais de rencontrer, L.de D, un peu déséquilibré dans son ouverture et son besoin de sens, m’introduisit à son amie, une très jeune fille, grâce silencieuse, dont le langage était geste et sourire, à la fois presque trop disponible et presque inaccessible ; cela fut tout de suite important – presque sans mots.

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