journal d'une transition

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était veule, comme amputé de l’idée ou du sentiment qu’il aurait dû exprimer… C’est une atmosphère malsaine ; l’image d’un marais dans la chaleur presque immobile. Demain je préparerai mon départ.

*Novembre, 1969, Colva Beach : Cette nuit j’ai rêvé de Joachim : nous étions les seuls, au jeu de la balle, à pouvoir la poser au bon endroit du cadran solaire – emplacement du zénith – qui se trouvait près de la jonction des deux cours. J’ai regardé les pêcheurs haler leurs filets. J’ai longtemps rêvé au monde. J’ai pensé à ceux que j’aime. *Novembre, 1969, Mar Gao : Je me suis levé très tôt, endolori, mes désirs se portant vers la vie et le personnage d’un rêve que je venais de faire… ; le thème qui en ressort : la tendresse, l’amour, l’amitié, forment la seule sécurité dont l’être a besoin. Hier au soir, j’ai joué aux cartes avec mes amis Anglais ; j’ai senti une paix, une joie, à leurs côtés, nous avons parlé un peu, tranquillement. Maggy, sous une apparence de bouledogue, est très fine, et j’ai rarement rencontré une gentillesse aussi libre. Je suis parti sans bruit, ce matin, dessinant sur le sol, avec des objets, des mots pour eux. J’ai rencontré une femme Indienne, assez âgée, au corps maigre et noir ceint d’un sari jaune, le chignon de sa chevelure rehaussé d’un nœud de ficelle ; elle avait un regard extraordinairement chaleureux, mêlé de cette intransigeance que donne l’expérience. Cela m’a plongé dans la mélancolie. Il y a des moments où tout va mal, tout se présente dans le mauvais sens. A Pondichéry je verrai le soleil se lever sur la mer. *Novembre, 1969, Bangalore : A la gare, un homme m’a donné une brochure brahmaniste, qui m’a fait longtemps réfléchir… J’ai dit en plaisantant, un jour, à S.B., qu’il faudrait tuer les révolutionnaires dés qu’ils ont atteint leur but car, une fois que la bataille a cessé, ils deviennent des exemples ; or lequel d’entre eux, individuellement, est libre ? Aucun. Leurs moyens de conviction ne sont effectifs que dans l’exaltation… Mon souhait, mon « désir » : pouvoir un jour discerner la vérité et la transcrire fidèlement ; apprendre à aimer. La Clairvoyance. La Vue Claire. Comment ? Je ne sais pas. Mais je sens que, comme on dit enfant, je « brûle »… ! Ce matin, j’ai marché pendant quatre heures à travers la ville. Des êtres, toutes sortes d’êtres. Dans le train, quand je me suis éveillé, j’ai vu, depuis la banquette réservée aux bagages où j’avais réussi à me faire de la place, une femme très belle, son visage si doux cerné de cheveux blancs, un tissu blanc recouvrant son sari bleu et or et retombant sur sa peau brune. Elle me regardait souvent, avec beaucoup d’attention. Je suis descendu de mon repaire et suis allé m’asseoir non loin d’elle, près de la vitre. Elle a voulu savoir ce que j’étais, à quelle religion j’appartenais. Dans l’après-midi elle est descendue du train ; comme elle passait le long du compartiment, nos regards se sont rencontrés une dernière fois. Elle a souri et, parce que je levais la main droite, paume vers elle, pour la saluer, elle a posé son

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