journal d'une transition

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O Mère, Tu nous apprends à coups de Force Et de douceur La simplicité D’être conscient.

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*O ctobre 1969, Damas : S.B n’est plus à côté de moi. Peut-être pour longtemps. Mes lèvres ont du mal à sourire et ma pensée est orientée vers la sienne, mon sexe vers le sien. La ville se termine toujours au flanc de la montagne. Pourtant un vacarme, un bruit trouble de personnes, les sons du travail et la fumée des machines, clament une agglomération humaine. Les différences entre les quartiers aussi, les possibilités de commerce autour de la personne, le désordre qui survient tout à coup lorsque surgissent des rangs de soldats, marquent l’empreinte d’une société mouvante mais connue, impliquant des repères et des règles admis par la plupart. Le muezzin égrène ses termes piégeurs et court les terrasses, lente tétanie, d’un minaret à l’autre. Tout, alors, disparaît. Le désert alentour se fait sentir et l’immense, une, Arabie – labyrinthe dimensionnel. Aimant du vide dont l’entrée est la surface moirée, phénoménale, d’une terre effritée au long des millénaires. Je retrouve maintenant facilement mon chemin, et ne m’égare que lorsque je le désire. Il y a parfois des places si belles. L’impression d’être là, en ce lieu, à cette heure, mais n’existant pas tout à fait. On m’a offert le thé peut-être huit fois. Un homme m’a appelé par mon nom, près du grand souk ; il l’avait entendu à la poste ; il doit me procurer une boîte ancienne – un oiseau ? – pour y mettre le « khôl » (ici, « kahali »). J’ai acheté aussi un « cheikh » (turban) en bonne soie plissée. Hier, après plusieurs heures de marche autour des ambassades, en compagnie de deux nouveaux amis, de très beaux jeunes Arabes, l’un Syrien, l’autre Jordanien, je me suis endormi, dissolvant une dernière fatigue due à la mescaline. J’avais envie de bouger dans le ventre de S.B. Dans la soirée je suis allé manger sur la terrasse que nous avions découverte ensemble. En repartant, j’ai baisé la main de l’une des prostituées – un enfant animal ou une femme assez laide ; elle a semblé déconcertée et un peu heureuse. J’ai attendu longtemps pour que le sommeil revienne. La fabrique de mes rêves est dans un nouveau fonctionnement. Les relations avec mon image prennent un aspect transitoire, un peu irréel ; je suis attentif à cette transformation. J’ai parlé à S.B. de ce long chemin douloureux jalonné de fulgurances et montant dans l’amour, pour vivre complètement, librement, et commencer à travailler, en complétude avec l’autre…

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