journal d'une transition

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Trois mois plus tôt, Mère était sortie sur Son balcon, le soir du 15 Août, pour la Fête de Sri Aurobindo. Tenue par Pranab, Elle avait marché jusqu’à la rambarde, qu’Elle avait saisie de Sa main si forte. Il pleuvait. Elle avait « regardé » quelques moments. D.D avait pris quelques photos d’Elle, là, et m’en avaient donné des copies. Maintenant, Son corps était devant tous, plus assis qu’allongé, le dos soutenu par des coussins de satin blanc, la nuque penchée en avant, le visage émacié ; et c’était une expression tout entière de détermination, d’une concentration si farouche, si totale, et si parfaitement immuable. Il y avait à la fois le sens d’une formidable Erreur, et celui d’un mystère qu’Elle nous demandait d’abriter au plus profond du cœur, à l’abri de toute ignorance. A deux reprises encore je passai et m’arrêtai devant Elle. Le 18, à la tombée du jour, je marchai jusqu’à la mer et trouvait Satprem, assis sur le muret du Tennis Ground, seul, et le rejoignis un moment ; je le revoyais, comme il me l’avait promis – mais comment ? Il se tourna vers moi, posa un doigt sur ses lèvres ; ses yeux étaient des gouffres d’une lumière qui Lui appartenait, ils étaient comme de l’océan condensé dans un appel et une offrande et un cri de fidélité à Elle. Quelques moments plus tard, j’allai tourner le coin de la rue de l’Ashram, dans la lumière apaisée du soir, quand surgit C.V – mon compagnon de toutes ces années. Sans rien me dire, il avait décidé tout à coup de faire le voyage et il venait d’arriver : et c’était la première fois qu’il La voyait physiquement. Allongée devant la foule. Une impossibilité. J’emménageai dans une chambre plus modeste d’une loge tenue par un disciple, G., un homme aussi gentil que discret. Je fis bientôt, par acquis de conscience, ma demande formelle auprès du « Comité » d’Auroville, composé alors de Navajata, Roger A., Prem Mallik – et je fus refusé. J’étais entré en relation, distante mais respectueuse, avec la promesse silencieuse d’une sorte d’amitié, avec Shyamsunder, qui à cette époque s’attachait plus particulièrement au Matrimandir. Je le tenais informé de mes choix et il me voyait lui-même, directement, évoluer. Un jour j’étais avec G.M et quelques autres sur l’une des plateformes de l’échafaudage dominant le plateau aride, et nous avions entre les mains une petite carte d’Auroville qui venait d’être imprimée. Sur cette carte, je vis le nom d’un lieu : « Sincérité ». Et je sentis comme une petite fusée de joie sûre dans le cœur ; je dis à G.M « c’est là que je veux vivre.. ! Où est-ce ? ». G.M me montra, à peut-être trois cent mètres vers le Nord, les silhouettes de trois ou quatre arbres d’un vert sombre. C’est là que J.M un Américain qui avait depuis quitté Auroville, avait construit une hutte – il avait demandé à Mère Son autorisation et L’avait priée de nommer le lieu ; Mère avait accepté, et écrit : « Sincérité ». G.M m’expliqua que cette hutte était en mauvais état mais que, si nous la réparions ensemble, elle pourrait bien abriter plusieurs d’entre nous. C’était « oui » tout de suite. C’était LA, sans le moindre doute. Je serais plutôt allé vivre dans l’un des villages qu’en aucun des lieux d’Auroville que j’avais pu visiter.

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