journal d'une transition

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Quand j’arrivai au Centre ce matin-là et m’approchai du bord du cratère dont ne dépassaient que 4 tours de bois, c’est simultanément dans la vérité physique absolue du Matrimandir et dans les yeux de G.M que je plongeai et fus accueilli. Il n’y avait plus de question : « que ferais-je ? ». C’était là. A la fin de cette première journée je rentrai à Pondichéry. Nata m’annonça que Pourna, qui tenait toujours cette sorte de restaurant à étoiles, avait coupé ses vivres. Il était puni de m’avoir bien reçu. Et Maggi se tourna vers moi, toute grave et intense, et me livra cette formule : « Je n’ai jamais vu de telle opposition ; si tu es capable de rester, je te le dis, je me mettrai à tes pieds !! »… Ce qui nous fit rire tous les trois. Mais voilà, une part de ma situation s’était donc précisée sans tarder. Je pris une chambre à l’une des Guest Houses de l’Ashram. Chaque soir, j’allais m’asseoir près du Samadhi, sous les fenêtres de la chambre de Mère. C’était l’heure du repas que l’on obligeait Mère à absorber, et chacun pouvait L’entendre protester, et gémir, à l’intérieur d’un silence incompréhensible tant il était chargé de conscience. Je passais chaque journée à aider au Matrimandir. Le bétonnage des quatre piliers et de la première dalle qui les joignait ensemble au bas de cette sphère à venir, se termina le soir du 17. Quand les vibrateurs s’éteignirent, il faisait nuit. A la lumière des grands projecteurs, éclaboussés de béton, nous regardâmes l’heure : 19.25. Je retournai à l’Ashram. Bien avant l’aube, il n’était pas encore 4 heures du matin, P., un jeune Ashramite qui s’occupait de la Guest House, vint frapper à la porte de ma chambre : « Divakar, come at once to the Ashram, Mother has left Her body… ! » (Divakar, viens tout de suite à l’Ashram, Mère a quitté Son corps.. !) Ces mots étaient inacceptables. Ils ne pouvaient pas être. Et pourtant, ils venaient d’être prononcés. Je me rendis à l’Ashram, me joignis à la ligne silencieuse des Ashramites. « Ils » avaient, dans la nuit, porté Mère hors de Sa chambre. L’avaient descendue, déposée sur un petit lit recouvert d’une fourrure synthétique blanche, sous une alcôve revêtue d’une feuille de métal argenté, rendue encore plus chaude par les projecteurs électriques. « Ils » avaient installé des ventilateurs et placé des soucoupes de camphre, et l’air était parfumé de l’eau de Cologne qu’Elle aimait utiliser. Et depuis ce moment jusqu’au 2O la foule défila inlassable, sans répit, jour et nuit, dans la chaleur immobile, sans un mot. Aucune de Ses instructions n’avait été observée. Mais Elle absorba tout le drame, et fit l’impossible, jusqu’à insuffler une sorte de joie tranquille ; certains des petits enfants d’Auroville disaient, presque en chantant, « Mère est dans nos corps !!! »… Mais quels mots pouvait-on même penser ? Nos sentiments mêmes étaient une insulte, tant ils étaient déplacés, hors de propos. Rien en nous n’était à Sa mesure. Nolini pourtant fit distribuer une déclaration. Qui disait peut-être quelque chose et peut-être ne disait rien. Comment pourrions-nous le savoir tant que nous ne serions pas unis à Elle, conscients d’Elle, dans le corps ?

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