journal d'une transition

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blanche et or, un turban – et pourtant toujours je le retrouverais dans les foules, lui en qui je pouvais loger comme il pouvait loger en moi.

Nous partîmes sur les routes, à pied, notre sac à l’épaule. Nous marchâmes jusqu’aux grands lacs d’Ouganda, et gravirent les collines du Rwanda, puis du Burundi. Notre couple ne pouvait guère passer inaperçu : parfois l’on dansait pour nous, mais parfois aussi nous suscitions l’intolérance, ainsi au Burundi où nous fûmes arrêtés et brièvement emprisonnés selon les ordres d’un pauvre et obscur officier Belge. L’Afrique vibrante, profondément vitale, comme une subconscience sans frontières, une avec sa terre, ses plantes, ses créatures, bruissante et silencieuse demeure d’une sagesse secrète parce que la pensée ne peut la capturer, nous nous imprégnions de sa vastitude vivante en chaque instant de la veille comme du sommeil. C’est au Congo que vint le moment de mettre un terme à cette randonnée. Nous retournâmes vers l’océan, jusqu’à Mombassa. Krishna se sentait mieux préparé à se donner au travail d’Auroville. Pour moi la porte était encore fermée. Un soir pourtant, d’une ruelle de Mombassa, par une fenêtre entr’ouverte je vis les photographies de Mère et Sri Aurobindo – et j’en pleurai, comme je pleurais Puis de nouveau sans argent, comme un mendiant, je revins à Nairobi. Je reçus là l’aide nécessaire et un peu plus tard pris l’avion pour Rome. De Rome je postai une lettre pour Mère. De retour à Paris, Sa réponse me parvint. Nata m’écrivit : (« Cher Divakat. Merci de votre lettre de Nairobi envoyée de Rome. J’ai lu à Mère votre lettre et voici sa réponse. Vous devez savoir que pour Mère ce n’est pas facile écrire quelque chose : pour cela et pour les mots qu’elle vous envoie, vous devez vous considérer comme un privilégié. Je fais cette lettre recommandée et je vous embrasse avec affection. Nata. ») Dans l’enveloppe se trouvait une feuille de papier sur laquelle Mère avait simplement écrit : « Divakat. Sois sincère et fidèle. Bénédictions. Mère. » Ainsi, Mère Elle-même avait écrit mon nom avec une « erreur », un « t » à la place du « r ». Parce que Nata le lui avait dicté ainsi ? J’avais souvent l’expérience, depuis longtemps, d’être comme assiégé par une sorte d’adversité diffuse, malveillante, qui voulait positivement « me » détruire, ou s’attaquer à mon corps. Si je me laissais convaincre d’incapacité à répondre à la lumière, je devenais d’autant plus vulnérable. Dés que le doute s’installait dans ma conscience, cette adversité devenait active et pouvait s’exprimer à travers des proches comme au travers de mes propres mouvements (j’avais une fois déjà, jeune adolescent, tenté de me « suicider » en me tailladant les artères du poignet, et on m’avait sauvé de justesse). C’est ainsi que je fus très ébranlé quand Cyril, le petit garçon dont je m’occupais de plus en plus, qui avait parfois beaucoup de force rebelle, m’appela un jour « Divakat », en soulignant le « t » avec une étrange intensité, comme une méchanceté. d’entendre, tout à coup, dans la ville, des chants de l’Inde. Mais Krishna rentrerait seul. Je l’accompagnai au bateau.

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