journal d'une transition

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vous avec amitié et affection. Nata. ») (Nata, d’origine Italienne, n’avait qu’une maîtrise approximative de la grammaire française.. !) Le petit cœur contenu dans l’enveloppe, découpé probablement dans un carton dur et recouvert de soie peinte, se composait en fait de deux cœurs articulés, s’ouvrant pour révéler la toute petite photographie de Mère, en face de laquelle Elle avait écrit, en tous petits caractères : « bénédictions Mère » C’est Champaklal qui avait peint les deux motifs, l’un d’une rose rosée, épanouie, l’autre d’un lotus rose tout ouvert. Parmi ceux qui avaient un jour débarqué dans notre havre, une jeune femme, M.S, était arrivée avec un tout petit enfant, Cyril ; le père, un garçon brillant mais plutôt déséquilibré, que j’avais un peu connu, lui avait indiqué notre adresse comme un refuge possible ; avec cet enfant, qui ne marchait pas encore, un lien se forma presque immédiatement et, avec ce lien, le sens accru d’une responsabilité. Mais je me voulais comme un relais seulement ; il me semblait que la seule chose de valeur que je pouvais offrir, passer aux autres, était la conscience de la présence de Mère, de Son action – et il y avait Auroville qui s’ouvrait au monde, à tous ceux qui souhaitaient tenter l’expérience. Peu de temps après mon départ de Pondichéry mon ami M’zali avait lui aussi demandé un nom à Mère. Originaire du Sud du Maroc, son père était venu des peuplades nomades sub-sahariennes, et son physique remarquable était plutôt celui d’un peuhl. Mère l’avait vu plusieurs fois et accepta de lui donner son nom. Elle lui écrivit sur une petite carte : « J’ai clairement vu et entendu : il devrait s’appeler Krishna. Bénédictions. Mère. » Krishna, ainsi, m’avait envoyé cette nouvelle et m’écrivait que je lui manquais et qu’il souhaitait venir me rejoindre. Quand il arriva, un projet s’était déjà formé en lui, comme une mission qu’il se donnait au service de Mère, avec toute sa passion : il voulait traverser le continent de l’Afrique dans sa plus grande largeur, d’Ouest en Est, afin qu’à travers lui, à travers sa naissance d’Africain – enfant de la Mère – cette grande masse vibrante d’expérience humaine soit offerte et portée à Ses pieds, pour l’avenir de la terre. Quand nous étions ensemble, il nous semblait que tout était possible, nous éprouvions l’incandescence d’un amour qui semblait pouvoir tout embrasser, tout rencontrer. Je l’emmenai bientôt dans le Sud Ouest, rendre visita à mes frères, puis nous retrouvâmes près de Bergerac plusieurs de nos amis, dans la maison de Rakhal, lui aussi nommé par Mère, qui avait habité avec nous à Pondichéry. De là, Krishna et moi traversâmes seuls les Pyrénées jusqu’à Montserrat, au lieu de la Vierge Noire. Puis nous rejoignîmes A.R et mon compagnon C.V à Barcelone – la cathédrale inachevée… Krishna s’en fut, seul, vers le Sénégal. L’hiver nous attendait, dans notre masure de pierre. Mais il ne fallut pas deux mois à Krishna pour parcourir la distance du Sénégal à l’Ethiopie. Il lui sembla alors que l’expérience demeurait incomplète si je n’y participais pas, si notre amitié n’y était pas présente. Il m’appela. Je pris l’avion pour Adis Abéba. Nous avions rendez-vous dans le Sud, et je le vis s’avancer sur le quai de la petite gare, vêtu à la musulmane, une ample gandourah

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