journal d'une transition

11

Une fois, alors que je craignais un retour de jaunisse, Mère m’envoya le message de prendre une poudre ayurvédique confectionnée à l’Ashram, le « Sudarshan Churna », dont l’amertume se chargea pour moi de toute la sécurité qui me venait d’Elle, avec le sens grandissant d’une relation profondément établie, au sein d’une dimension libre de la vie comme de la mort du corps. Avec C., ma mère physique, s’était au cours de mes années développée une relation dont j’avais pu dans la vie des autres vérifier l’exception, faite d’une confiance inconditionnelle et pourtant lucide et réaliste et d’un sens vivant de l’harmonie, du respect, d’une communication qui ne triche pas et ne rejette rien. Je tentai, par lettre, de l’introduire à cette expérience pour laquelle il n’y avait dans notre passé commun aucune correspondance et aucune référence, autres que certains de mes propres tâtonnements, des « impressions » que j’avais eu parfois l’occasion de lui faire partager. (Il faut préciser ici que C., ma mère, et F., mon père, étaient chacun résolument athéistes, par souci de liberté et essentiellement comme une forme d’intégrité et de respect de l’autre.) Elle accepta de venir. Nous étions en Mars. J’écrivis à Mère : (« Mère totale, à propos de la visite prochaine de ma mère – et peut-être d’une femme amie – en Inde et à l’Ashram ; il m’a semblé préférable d’aller chercher ma mère à Bombay, en tant qu’intermédiaire entre elle et Toi, entre elle et ce que Tu éclaireras de son être. Elle et moi avons, je crois, un rapport très positif, déjà assez libre, et dont l’équilibre repose sur un bonheur intérieur commun et une sorte d’amitié profonde et indestructible. Mère, veux-Tu me montrer quelle doit être mon attitude ?... ») Ici, dans la marge, Mère écrivit : « simplicité et sincérité » (« … J’ai un peu d’appréhension. Mère, chaque jour Tu me permets d’avancer dans un bonheur dynamique – je désire tant Te servir - … et tout ce que je puis Te dire sans l’écrire, dans une confiance toujours croissante, je comprend mieux ce qu’il y a à changer dans cette nature que j’ai reçue. Je souhaite devenir un moyen fidèle et conscient, dans un être transformé. Merci à chaque instant. Pardon à chaque instant. Didier. ») En bas de ma lettre, Mère écrivit : « Mes bénédictions sont avec toi. Mère. » Il semblait que Mère doucement orientait Fabienne vers le rythme plus rassemblé, plus protégé des désordres et des excès, de l’existence quotidienne dans l’Ashram. Je partis seul à Bombay. Je décidai qu’il faudrait pour amortir le choc d’un passage si abrupt à une humanité si autre, le grand luxe, et je réservai une suite à l’hôtel Taj. Cela nous donna le temps de retrouver un souffle partagé, cette amitié tendre, attentive et complice. A Pondichéry Mère arrangea une chambre pour C. chez Redge. Ce confort et cette harmonie lui permirent de traverser une première période bien rude, où il lui sembla que j’allais disparaître dans une sorte d’entreprise à la fois incompréhensible et inacceptable ; elle y voyait une sorte d’injustice foncière, mais en même temps se savait tenue de respecter mes choix, quels qu’ils soient, et de tenter de m’y accompagner tout en restant elle-même, si toutefois je le lui permettais. Puis, sans bien s’en rendre compte, elle commença de se libérer de tout un poids de préconceptions et d’idées reçues, d’une morale à rebours qui juge sans comprendre, et à prêter attention à un aspect de l’amour de Mère, essentiellement

Made with