2021 Défaire les murs et aller

grande table devant la baie vitrée, oxydes et huiles à leur portée, pinceaux, brosses, lames et carrés de papier pressé devant chacune d’e lles, chacune doit d’abord trouver le bleu qui lui convient au présent, puis lui donner son espace, puis discerner son pouvoir, sa force, son mouvement et son rythme afin de le pourvoir d’une expression – que ce soit une ligne, un point, une onde, une géométrie, une variation de ton, c’est à découvrir… Ces trois jeunes filles sont entrées dans une méditation qui les a absorbées pendant plus de deux heures ; je les observais légèrement depuis mon écritoire, il n’y avait pas de tension dans leurs postures, mais une sorte de respiration contenue, une densité de leurs gestes, chacune dans une écoute particulière ; et lorsque je me suis enfin approchée et tenue derrière elles, j’ai rencontré trois compositions singulières, trois bleus uniques, presque trois mondes ; elles ont soufflé, comme dégagées d’un rêve, secouant les épaules et riant et soupirant et s’étirant et se regardant – tout ça avant d’oser objectiver leur travail et vérifier mon évaluation. Alors je les ai toutes trois tenues sous mes bras étendus, en les félicitant, car chacune venait d’accomplir un voyage créatif dans leurs domaines intimes, et les résultats sont assez merveilleux : ces trois « tableaux » vont sécher jusqu’à lundi et nous pourrons soit les encadrer, soit les suspendre. Celui d’Améthyste est un ovale presque rectangulaire, foncé comme par un ourlet qui l’approfondit pour l’éclaircir vers le centre comme une ouverture sur l’infini. Celui de Blanche est un carré qui s’intensifie vers son milieu, le bleu de la coquille d’un œuf de serpent qui se concentre en un cercle turquoise à la fois attirant et rayonnant. Celui de Chardon est tout l’espace comble d’un bleu pâle argenté, croisé d’ondes discrètes dans les deux sens, qui donnent une impression de grande vitesse immobile.

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