journal d'une transition
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*27-7-2000, Auroville : Peut-être y a-t-il un nombre critique d’occasions où l’on se trouve si détestable, si insuffisant et si inadéquat, où l’on se fait à soi-même l’effet d’une telle imposture, que l’on comprend alors le mobile de cette force instinctive de la nature qui replonge les éléments de ses créations dans son vaste chaudron, toujours à la recherche de cette combinaison magique qui tiendra enfin la route et permettra un progrès continu – que l’on comprend l’utilité de la mort… On voudrait se secouer brutalement, ou être immergé dans cette eau légendaire qui dissout les scories, les habitudes et les plis, tout le rebut et le déchet et la subconscience du souvenir et l’accumulation négative de tous ces milliers de petits mouvements d’ego enregistrés, logés et incrustés comme une suie qui encombre et obstrue… *1-8-2000, Auroville : Depuis quelques mois, parallèlement à cette sorte de détresse ou de révolte que suscitent les mécanismes de l’âge, je suis aux prises avec une déperdition de l’énergie physique, qui se traduit concrètement par un besoin accentué de sommeil et un ralentissement de certaines fonctions, telle celle de la digestion. Et c’est comme une bataille qui serait vaine, mais dans la pénombre ou le chaos de laquelle il y aurait pourtant, si improbable cela soit, le sens mystérieusement tangible d’un chemin qui se fraye… Ce sens est en affinité avec une sensation que j’avais souvent lorsque j’étais enfant, comme d’un corps dans le corps, ou d’une ressource corporelle secrète, voilée, mais certaine ; la sensation d’une vérité physique, qui était à la fois presque une douleur cellulaire – une intensité inhabituelle et difficile à supporter – et le bien-être de la présence interne, cellulaire, d’une grâce. Mais l’expérience de la vie est destructrice, et s’attaque particulièrement à ce qui est le plus cher, le plus précieux et le plus pur : un jour ou l’autre, dans le marasme de cette universelle confusion, on ouvre les mains et on plonge entier, sans plus rien préserver, avec cette seule foi que la conscience saura toujours, ultimement, triompher. Mais comment accepter la corruption de cet aveugle absolu qui gouverne encore le destin organique du corps ? Parfois, la nuit, c’est une répulsion qui m’éveille : il n’y a rien de noble dans le vieillissement ; c’est un avilissement et un viol, c’est une monstrueuse violence.
Comment peut-on l’accepter ? Parce qu’il n’y a pas le choix ? Mais est-ce vrai qu’il n’y a pas le choix ? Comment cela peut-il être vrai ? Il s’agirait alors d’un monde essentiellement taré ?
Mais quand on sait que le Suprême est au centre, à l’origine et au but du monde et de tous les mondes, comment peut-on accepter de se prêter à cette violence ?
*2-8-2000, Auroville : Il me semble que le rôle de la science médicale, et les fondements mêmes de toute approche thérapeutique, se trouvent dans une position de plus en plus ambiguë. En deçà de cette vague d’enthousiasme qui se réclame à la fois d’une compréhension holistique inclusive de l’environnement et des rythmes subtils qui scandent la vie de la nature physique, et du pouvoir formateur du mental sur la condition du corps, et s’alimente, un peu superstitieusement, aux postulats
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