Tome 2 Défaire les murs et aller

Onzième mardi

Il est encore tôt, le soleil vient d’apparaître dans la brume qui monte du sol et, pendant que tu aides Jul et Jen à disposer sur le triangle les éléments d’une course d’obstacles pour l’heure d’exercice, je me suis posée face à l’océan, adossée à un petit muret, mon cahier sur les genoux ; avant de rejoindre le flot du jour qui commence, je tiens à poser ces jalons qui marquent notre cheminement commun : il s’agit d’une sorte de contradiction apparente (enfin, apparente à notre expérience !) qui s’est exprimée hier soir. Nous nous étions rendus ensemble, toi et moi, à la salle commune pour nous sustenter de la soupe excellente préparée par Zeidr, y trouvant déjà attablés Jul, Martin et Cleïm (chacun s’y rend à son rythme et son gré, la soupe reste chaude dans la marmite) e t, sans l’avoir préparé ni prévu, Jul s’est mis à parler de ce qu’il vit comme une régression ; lui qui est toujours discret et très économe de paroles, qui se sent le plus entier dans la discipline de son travail physique, est aussi un observateur très attentif et perspicace, de lui-même comme des autres. Il dit se sentir plutôt désemparé de constater une absence de progrès dans sa conscience physique, comme si non seulement la nouvelle, la vraie conscience ne trouvait plus en nous de réceptivité ni d’appel, mais s’était « désintéressée » ; il se rappelle des périodes de découverte, d’illumination, de compréhension, de contact et d’ouverture et, en comparaison, l’état actuel lui semble comme déserté ; pourtant, il sait qu’il suffit d’un moment de concentrat ion pour « entrer en conscience », et il se souvient aussi d’avoir en quelque sorte fait le choix de s’offrir à un réel changement dans le physique même, plutôt que de développer quelque réalisation que ce soit : car,

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