Tome 2 Défaire les murs et aller

Dixième vendredi

Un jeu d’ombres, nos vies sont autant d’ombres et dans l’ombre c’est là qu’on se cache, que se cachent d’autres ombres qui occupent le monde et c’est ainsi que certain s ont pu déclarer que tout ceci - tout cet univers, tous ces caractères et toutes ces histoires et tous ces parcours - n’est qu’une complexe illusion dont il faut se délivrer, s’abstraire, se défaire, s’extraire, s’extirper : dans le rien, dans l’absolu, dans l’inconnaissable, cela n’a plus d’importance. En ces jours d’invisible asservissement – aurait-on jamais pu croire possible que nos milliards de consciences puissent être rendues si dociles, réduites et diminuées, apeurées et aliénées jusqu’à la perte de toute dignité – on peut sentir l’obscure volonté qui s’est emparée de ces ombres derrière nos ombres et qui les anime ; l’ironie n’est -elle pas désormais apparente, car pourquoi se battre pour le contrôle de cette race et de ce monde, si ce n’est qu’illusion ? J’avais noté ces bribes avant de rejoindre la troupe pour l’heure des questions, la première heure après l’exercice en plein air – un air magnifiquement chargé de senteurs et d’humeurs marines et un ciel nettoyé et l’océan à peine froissé jusqu’à l’horizon – et nous étions tous installés sur les bancs de la grande table commune, coude à coude et bien requinqués, quand Chardon a levé sa petite main droite tout en essayant, de la gauche, de discipliner la broussaille de sa chevelure ; elle s’est à demi -levée puis rassise, assurée de notre attention : « Voilà », a-t-elle commencé, « on comprend près de vous qu’il y a deux mouvements importants pour nous développer, qui sont

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