Tome 2 Défaire les murs et aller

Peu à peu leurs diverses explorations s’organisèrent, en fonction d’objectifs précis : ramasser du bois, récolter des gr aines, faire l’inventaire des plantes comestibles, arranger des espaces de retraite individuelle – soit à l’intérieur de la demeure, soit dans les bois -, mais, sans en avoir parlé ensemble, tous choisissaient de revenir dans la salle commune et d’y dormir chaque nuit. Chacun éprouvait, indiciblement, le besoin à la fois de se livrer entièrement et d’être ouvert entièrement et, dans la constante circulation d’impressions et de perceptions, d’apprendre à s’orienter et à répondre vraiment. Ainsi chacun ressen tait comme une nécessité le mouvement ou l’élan de contribuer ce que l’on était seul à pouvoir contribuer, sans calculs ni arrogance ; chacun se découvrait comme détenteur d’un trésor sans pareil, dont l’on était le gardien et seul responsable, un trésor qui pourtant appartenait à tous, au devenir de tous. Ainsi, certainement beaucoup d’autres jours et nuits s’écoulèrent, mais la tension qui avait habité leurs existences d’avant, petit à petit disparaissait et cette disparition était une libération qu’ils n’auraient pu soupçonner dans leur état précédent ; cet harassement habituel dont ils se souvenaient encore, ce sens dominant du passage du temps, en se dissipant, laissait place à des rythmes divers, des profondeurs et des alternances, des trouées de perception et de rencontre par lesquels et l’espace et le temps semblaient se joindre et, lorsqu’on parvenait à rester bien silencieux dans la tête, à devenir autre chose, comme un seul élément ou un seul milieu et, dans ce milieu, un geste bien ancré, un ges te venant du cœur, devenait créateur, ou révélateur d’une réalité infiniment riche et présente. Même les rythmes corporels semblaient se délester d’un poids d’anxiété, se dégager d’un joug extérieur, et s’accorder à un ensemble plus vaste, ou moins circonscrit.

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