Tome 2 Défaire les murs et aller

cela m’a culbutée dans le dépit : pourquoi donc nos corps, le corps humain, pourquoi ce corps est-il si vulnérable et si dépendant, pourquoi est-il si soumis à cette loi de la dégradation, pourquoi ne peut-il recouvrer la capacité de progrès indéfini ? Et pourtant, quand j’ai pu planter mon drapeau devant l’océan et que j’ai vu le tien déjà flotter non loin (j’avais remarqué sa couleur lorsque nous avons chacun choisi) et que je t ’ ai aperçu un peu en arrière, encore essoufflé mais droit et souriant, je me suis ressaisie et j’ai remercié : le progrès nécessaire est devant nous ! Mais il y a eu ce moment de détresse impuissante et révoltée, qui m’a tirée en arrière, comme une chute interne : que faire, comment traiter cette contradiction si installée dans nos corps, si « légitime », si absolue ? Un peu plus loin sur ma gauche, j’ai vu arriver Cleïm quelques instants après, claudiquant mais le torse bombé, puis, reprenant mon souffle et regardant de part et d’autre, j’ai constaté que tout le monde était bien là, debout devant la vastitude que nous offre ce monde, et même Le Rai, arrivé le dernier, le genou écorché mais son drapeau bien serré dans son poing, s’est redressé en riant : tant de fanions de couleur secoués par le vent du large, et c’était comme un chant.

Plus tard , à l’heure des questions, nous avons pu convenir que je ne prendrais d’élèves que l’après -midi et consacrerais les matinées à l’écriture du conte, disponible et accessible à toute

contribution ou inspiration – et que Vrit et Gomat me seconderaient pour les détails de mise en scène.

Ces jours-ci, Zeidr est plus souvent demandée par des habitants de notre voisinage, pour une entorse, une grossesse douloureuse,

111

Made with FlippingBook. PDF to flipbook with ease