Savitri - Book Three - Canto 1

B OOK T HREE – C ANTO 1 – T HE P URSUIT OF THE U NKNOWABLE L IVRE T ROIS – C HANTE 1 – L A P OURSUITE DE L ’I NCONNAISSABLE

SAVITRI S RI A UROBINDO

French translation by: Divakar Jeanson www.divakar-publications.com

LIVRE TROIS – Le Livre de la Mère Divine

BOOK THREE - The Book of the Divine Mother

Chant Un – La Poursuite de l’Inconnaissable

Canto One - The Pursuit of the Unknowable

Tout est trop peu que le monde peut offrir : Son pouvoir, sa connaissance, sont les dons du Temps Et ne peuvent assouvir la soif de l’esprit. Bien que de l’Un soient ces formes de grandeur Et que nos vies subsistent par son souffle de grâce, Bien que plus proche de nous que l’essence du proche, C’est une caricature de ce que nous sommes ; Caché par ses propres œuvres, cela semblait distant, Impénétrable, occulte, obscur et sans voix. La Présence manquait, qui est le charme des choses, La Gloire dont elles sont les signes imprécis. Vidé de sa Cause le monde vivait encore, Comme l’amour quand le bien-aimé n’est plus là. Le labeur de connaître semblait inutile, Toute connaissance cessait dans l’Inconnaissable : L’effort de gouverner semblait une vanité ; Trivial accomplissement dédaigné par le Temps, Tout le pouvoir se retirait dans l’Omnipotent. Une sombre caverne garde la Lumière. Un silence vint se poser sur son cœur ; Affranchi des voix terrestres du désir, Il se tourna vers l’appel de l’Ineffable. Un Etre à la fois intime et innommable, Une extase à la fois paisible et impérative Eprouvée en soi et en tous, pourtant incomprise, S’approchait de son âme et s’esquivait aussitôt, Comme pour l’attirer toujours au-delà.

All is too little that the world can give: Its power and knowledge are the gifts of Time And cannot fill the spirit's sacred thirst. Although of One these forms of greatness are And by its breath of grace our lives abide, Although more near to us than nearness' self, It is some utter truth of what we are; Hidden by its own works, it seemed far-off, Impenetrable, occult, voiceless, obscure. The Presence was lost by which all things have charm, The Glory lacked of which they are dim signs. The world lived on made empty of its Cause, Like love when the beloved's face is gone. The labour to know seemed a vain strife of Mind; All knowledge ended in the Unknowable: The effort to rule seemed a vain pride of Will; A trivial achievement scorned by Time, All power retired into the Omnipotent. A cave of darkness guards the eternal Light. A silence settled on his striving heart; Absolved from the voices of the world's desire, He turned to the Ineffable's timeless call.

A Being intimate and unnameable, A wide compelling ecstasy and peace

Felt in himself and all and yet ungrasped, Approached and faded from his soul's pursuit As if for ever luring him beyond.

Near, it retreated; far, it called him still. Nothing could satisfy but its delight: Its absence left the greatest actions dull, Its presence made the smallest seem divine. When it was there, the heart's abyss was filled; But when the uplifting Deity withdrew, Existence lost its aim in the Inane. The order of the immemorial planes, The godlike fullness of the instruments Were turned to props for an impermanent scene. But who that mightiness was he knew not yet. Impalpable, yet filling all that is, It made and blotted out a million worlds And took and lost a thousand shapes and names. It wore the guise of an indiscernible Vast, Or was a subtle kernel in the soul: A distant greatness left it huge and dim, A mystic closeness shut it sweetly in: It seemed sometimes a figment or a robe And seemed sometimes his own colossal shade. A giant doubt overshadowed his advance. Across a neutral all-supporting Void Whose blankness nursed his lone immortal spirit, Allured towards some recondite Supreme, Aided, coerced by enigmatic Powers, Aspiring and half-sinking and upborne, Invincibly he ascended without pause. Always a signless vague Immensity Brooded, without approach, beyond response, Condemning finite things to nothingness, Fronting him with the incommensurable.

Proche, elle se repliait et lointaine, l’attendait. Rien d’autre que son plaisir ne pouvait satisfaire : Son absence rendait ternes les plus grands actes, Sa présence rendait divin le plus petit geste. Quand elle était là, l’abîme du cœur se comblait ; Mais quand l’exaltante Déité se retirait, L’existence perdait son but dans l’Absurde. Devenaient les étais d’une scène éphémère. Mais qui était cette force, il ne savait encore. Impalpable, emplissant pourtant tout ce qui est, Cela créait puis effaçait un million de mondes, Prenait et perdait un millier de noms et de formes, Ou revêtait l’aspect d’un Vaste indiscernable ; Ou bien c’était un noyau subtil dedans l’âme, Une distante grandeur, énorme et vague, Ou une proche douceur, mystique, intérieure ; Parfois cela semblait une fiction, une robe, Ou bien n’être que sa propre ombre colossale. Un doute géant assombrissait son avance. A travers un Vide neutre soutenant tout, Dont la vacuité berçait son esprit isolé, Aimanté vers un incompréhensible Suprême, Aidé, forcé par des Pouvoirs énigmatiques, Aspirant, défaillant, soulevé tour à tour, Invinciblement il montait sans une pause. Toujours une Immensité sans signes planait, L’ordonnance des plans immémoriaux, La plénitude sublime des instruments,

Inaccessible, par-delà toute réponse, Condamnant au néant les choses finies, Et l’affrontant avec l’incommensurable.

2

Then to the ascent there came a mighty term. A height was reached where nothing made could live, A line where every hope and search must cease Neared some intolerant bare Reality, A zero formed pregnant with boundless change. On a dizzy verge where all disguises fail And human mind must abdicate in Light Or die like a moth in the naked blaze of Truth, He stood compelled to a tremendous choice. All he had been and all towards which he grew Must now be left behind or else transform Into a self of That which has no name. Alone and fronting an intangible Force Which offered nothing to the grasp of Thought, His spirit faced the adventure of the Inane. Abandoned by the worlds of Form he strove. A fruitful world-wide Ignorance foundered here; Thought's long far-circling journey touched its close And ineffective paused the actor Will. The symbol modes of being helped no more, The structures Nescience builds collapsing failed, And even the spirit that holds the universe Fainted in luminous insufficiency. In an abysmal lapse of all things built Transcending every perishable support And joining at last its mighty origin, The separate self must melt or be reborn Into a Truth beyond the mind's appeal. All glory of outline, sweetness of harmony, Rejected like a grace of trivial notes, Expunged from Being's silence nude, austere, Died into a fine and blissful Nothingness.

Puis l’ascension parvint à un terme puissant. Une hauteur fut atteinte où rien ne pouvait vivre,

Une ligne où tout espoir devrait cesser Auprès d’une Réalité nue, intolérante ;

Un zéro se forma, plein d’infini changement. Sur un bord abrupt où échouent toutes les guises Et l’esprit humain doit abdiquer dans la Lumière Ou périr comme une phalène dans son brasier, Il se trouva contraint à un choix formidable. Tout ce qu’il avait été, tout ce qu’il recherchait, Devait être abandonné ou bien se transformer En un soi de Cela qui n’a pas de nom. Seul et face à une Force intangible Qui n’offrait rien à la saisie de la Pensée, Son esprit affronta l’aventure de l’Inane. Les mondes de la Forme l’avaient délaissé. Une fructueuse Ignorance ici s’effondrait ; Le long périple de la Pensée se refermait Et, sans plus d’effet, la Volonté cessait d’agir. Les modes d’existence n’étaient plus d’aucune aide, S’écroulaient les structures qu’érige la Nescience, Et même l’esprit qui contient l’univers Défaillait dans une lumineuse insuffisance. En une chute abyssale de tout l’édifice Transcendant tous les supports périssables Pour se joindre enfin à sa grande origine, Le soi séparé devait fondre ou renaître Dans une Vérité inaccessible au mental. Toute gloire de contour et douceur d’harmonie, Rejetée comme une grâce de notes triviales, Effacée du silence de l’Etre, nu et austère, Périssait dans un Néant bienheureux.

3

The Demiurges lost their names and forms, The great schemed worlds that they had planned and wrought Passed, taken and abolished one by one.

Les Démiurges perdaient leurs noms et leurs formes Et les mondes qu’ils avaient conçus et composés Disparaissaient, pris et abolis l’un après l’autre.

The universe removed its coloured veil, And at the unimaginable end Of the huge riddle of created things

L’univers se défit de son voile coloré, Et, à l’inimaginable extrémité

De l’énorme énigme des choses créées Apparut au loin la Divinité de l’ensemble, Ses pieds arrimés sur les ailes de la Vie, Omnipotent, un voyant solitaire du Temps, Intérieur, inscrutable, aux yeux de diamant. Attirés par le regard insondable Les cycles irrésolus retournaient à leur source Pour se renouveler de cette mer invisible. Tout était défait que sa puissance engendra ; Il ne restait rien de ce que conçoit le Mental. L’éternité semblait s’évanouir et n’être plus Qu’une nuance et imposition sur le Vide, L’Espace était le battement d’ailes d’un songe Qui bientôt sombrerait dans les fonds du Néant. L’esprit qui ne meurt pas et le soi supérieur Semblaient des mythes projetés de l’Inconnaissable Dont tout a jailli, en où tout cessera. Mais ce que Cela était, nul ne pouvait dire. Seule une Forme informe du soi demeurait, Un fantôme ténu de quelque chose qui fut, L’ultime expérience d’une vague qui retombe Avant de se fondre dans une mer infinie, - Comme si elle gardait même au bord du Rien Sa pure émotion de l’océan dont elle vint. Une Vastitude régnait, libre de l’Espace, Une Pérennité, distante du Temps ;

Appeared the far-seen Godhead of the whole, His feet firm-based on Life's stupendous wings, Omnipotent, a lonely seer of Time, Inward, inscrutable, with diamond gaze. Attracted by the unfathomable regard The unsolved slow cycles to their fount returned To rise again from that invisible sea. All from his puissance born was now undone; Nothing remained the cosmic Mind conceives. Eternity prepared to fade and seemed A hue and imposition on the Void, Space was the fluttering of a dream that sank Before its ending into Nothing's deeps. The spirit that dies not and the Godhead's self Seemed myths projected from the Unknowable; From It all sprang, in It is called to cease. But what That was, no thought nor sight could tell. Only a formless Form of self was left, A tenuous ghost of something that had been, The last experience of a lapsing wave Before it sinks into a bourneless sea,— As if it kept even on the brink of Nought Its bare feeling of the ocean whence it came. A Vastness brooded free from sense of Space, An Everlastingness cut off from Time;

4

A strange sublime inalterable Peace Silent rejected from it world and soul.

Une étrange Paix, sublime, inaltérable, Silencieuse, rejetait le monde, rejetait l’âme.

A stark companionless Reality Answered at last to his soul's passionate search: Passionless, wordless, absorbed in its fathomless hush, Keeping the mystery none would ever pierce, It brooded inscrutable and intangible Facing him with its dumb tremendous calm. It had no kinship with the universe: There was no act, no movement in its Vast: Life's question met by its silence died on her lips, The world's effort ceased convicted of ignorance Finding no sanction of supernal Light: There was no mind there with its need to know, There was no heart there with its need to love. All person perished in its namelessness. There was no second, it had no partner or peer; Only itself was real to itself. A pure existence safe from thought and mood, A consciousness of unshared immortal bliss, A Being formless, featureless and mute That knew itself by its own timeless self, Aware for ever in its motionless depths, Uncreating, uncreated and unborn, The One by whom all live, who lives by none, An immeasurable luminous secrecy It dwelt aloof in its bare infinite, One and unique, unutterably sole.

Une Réalité absolue, sans compagnon, A la quête de son âme répondit enfin : Indifférente et muette, absorbée, insondable, Gardant le mystère que nul ne pénétrerait, Cela planait, inscrutable et intangible, Son formidable calme lui faisant face. Cela n’avait aucun lien avec l’univers ; Il n’y avait ni acte, ni mouvement dans son Vaste : La question de la Vie mourait sur ses lèvres, L’effort du monde cessait, convaincu d’ignorance, Ne trouvant nul appui de Lumière supérieure : Il n’y avait là ni coeur ni intelligence Avec leur besoin d’aimer et de savoir. La personne périssait dans cet innommable. Il n’y avait ni second, ni pair, ni partenaire ; Cela seul était réel à soi-même. Une pure existence, sans pensée ni état, Une conscience d’exclusive félicité, Cela demeurait dans son infinité nue, Un et singulier, indiciblement seul. Un Etre sans forme, sans traits et sans voix, Qui se connaissait par son propre soi éternel, A jamais conscient dans ses fonds immobiles, Ni créateur, ni créé, jamais né, L’Un par qui nous vivons, qui ne vit par personne, Un incommensurable secret de lumière Défendu par les voiles du Non Manifeste, Au-dessus de l’intermède cosmique mouvant Résidait suprême, immuablement le même,

Guarded by the veils of the Unmanifest, Above the changing cosmic interlude Abode supreme, immutably the same,

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A silent Cause occult, impenetrable,— Infinite, eternal, unthinkable, alone.

Une Cause occulte et impénétrable, - Infini, impensable, unique, libre du Temps.

Fin du Chant Un

End of Canto One

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