Lettres à Divakar jusqu'à 2005

1962 fut aussi l’année de la naissance de mon petit frère, Olivier, né de Christiane et de Francis. Notre famille s’était donc ramifiée simultanément des deux côtés, et la qualité de chacun de ses membres fut telle que cette nouvelle constellation ne fit que se renforcer et s’approfondir avec le temps. Alors que Francis était issu de la petite bourgeoisie bordelaise, Christiane venait d’un milieu protestant presque aristocrate ; ce fut la seule de mes « parents » à avoir jamais reçu une éducation religieuse, mais il s’agissait beaucoup plus en fait d’une tradition éthique : son père, André Philip, se joignit au gouvernement en exil formé par De Gaulle à Alger, puis occupa de nombreux postes officiels tout le reste de sa vie, et sa famille entière, originaire du Massif Central, recueillit des juifs et des résistants. Colette avait été élevée dans une sorte de saine absence de croyance et un respect naturel des valeurs morales fondamentales. Francis de son côté n’avait pas la moindre disposition à s’en remettre à aucune croyance, ce qui ne l’empêcha pas, au contraire, d’établir de véritables dialogues avec des gens de foi. René, lui, se déclarait agnostique ; sa famille juive n’était ni traditionnelle ni pratiquante, et ce qu’il avait vécu et observé des maux que la conviction religieuse pouvait causer l’avait rendu plus que sceptique. Christiane fut donc la première d’entre eux à avoir une sorte d’expérience tacite de la réalité de la foi. Christiane était venue à Francis à travers sa participation au réseau (qui recrutait volontiers l’aide et l’assistance ponctuelle de nombreuses personnes civiles, pour héberger momentanément des membres du réseau par exemple, ou accompagner l’un d’eux au passage d’une frontière, ou préserver des documents ou même de l’argent) et s’y était engagée entièrement ; mais elle avait déjà trois enfants à sa

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