Lettres à Divakar jusqu'à 2005

pensais aux félins dont J.F. Annaud, le cinéaste, avait parlé, et revis alors une somptueuse panthère noire aux yeux verts, hélas allongée dans une cage sur la grande place de Dinan occupée par un cirque ; j’étais avec Guite fascinée comme moi par cette beauté ; et toujours ce vent violent, fulgurant : la vision des déjeuners du jeudi – Paul, Guite, René, Duchêne malade – et moi, représentée debout, restée debout… comme une quille ! L’image est un peu facile, mais je ne l’ai pas cherchée, un cliché qui m’a été imposé, si peu dans mon style que je pense qu’il est venu là comme un signe, peut-être de devoir dépasser quelque chose, d’avoir un point de vue plus vaste, plus libre. Je crains que tout ceci ne t’apparaisse un peu confus. Ça l’est sûrement, mais je ne vois guère comment exprimer clairement ces nœuds de ma pelote de laine… mais pour l’instant je m’appuie sur cette forte navigation que ta lettre me transmet en évoquant ta propre expérience et ton mouvement dans la « bataille ». … Aniela : je situe bien ta suggestion pour éclairer ma communication avec elle, ou plutôt la sienne en général ; ce qui m’embarrasse toutefois, c’est que, justement, aborder avec elle la question de sa réponse aux « choses de la vie »… suppose que, déjà, le problème est en partie résolu… J’ai eu récemment l’occasion de l’entendre répondre ainsi au téléphone : « c’est momentanément que je vous accueille sur un répondeur… » ; cela rejoint à mes yeux les éloges qu’elle peut faire concernant un mets agréable au restaurant, « si raffiné, le cuisinier a sûrement mis beaucoup d’amour pour le faire… » ! Bon ! J’ai l’air de chercher la petite bête ! Mais mon travail d’écoute avec les patients, et même avant, m’a appris à être attentive aux petites phrases, aux petits riens, qui parlent davantage que les grands machins… L’accueil sur un répondeur, l’amour du cuisinier, c’est trop. Elle a trop la volonté d’envoyer les bonnes pensées… Et j’éprouve une certaine méfiance devant l’excès – surtout l’excès d’amour ! Il y a donc, de mon côté, une retenue de méfiance… et donc il m’appartient de m’en libérer. Car je tiens à notre amitié.

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