un autre choix

UN AUTRE CHOIX

Structure

Préambule

Dédicace

Entrée en matière

L’intention de cet essai

1 Le fait de la mort

Que savons-nous donc ?

La vie et la mort, la mort et la vie

« Tant qu’il y a la mort, tout finit mal… » (La Mère)

L’égalité de tous devant la mort

Notre densité humaine

Terreur

La légitimité de la satisfaction

L’énergie et la dépendance

Où est l’illusion ?

Où commence le travail d’évolution ?

2 Et si…

Quelle réalité humaine ?

2

En route

D’autres destins ?

Le sens du temps

Le milieu de la conscience

Le contentieux évolutif

Effort et repos

Conscience/existence/joie

3 Une autre nature

Comme une mémoire…

Le monde et nous

La quête et le trésor

Le grain et l’ivraie

Qui est ce guide ?

Le levain dans l’obscurité

L’axe de la Trinité

Le chemin d’œuvre

Qui est là ?

Comment relier ?

Corps et âme

La matière du Suprême

Pratique de l’abandon

L’aspiration à servir

Le sens de l’Unité

3

4 Un autre choix

La scène

Qui choisit ?

Où est le ressort ?

Changement d’autorité

Les champs de l’évolution

L’intégralité du changement

Les chaînes des choix

L’intenable question

Quelles fins, quels moyens ?

Horreurs ou bienfaits ?

Le choix du guide

Pas à pas

Proportions et mesures

Essentielle simplicité

Normalité véritable

« Mourir à la mort »

La contradiction

Un soubassement invisible

La voie du détail

Humain d’abord

Conversion

Mutualité

4

Notre sexe

Notre monde

Découverte du corps

Enfants de l’univers

5 Une action terrestre

Le fondement

Chacun à sa tâche

Tous les moyens

La force de l’appel

… A suivre …

5

Préambule

Comment communiquer consciemment ?

Cette question, il me semble, devient chaque jour plus urgente et plus pertinente.

A vous qui peut-être allez lire cet essai, je dois dire que chaque phrase qui y contribue a été le fruit d’une concentration, d’une méditation, d’un appel.

Considérez ces mots comme une offrande.

(Le 15 Janvier 2016, Auroville)

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A Mère et Sri Aurobindo,

A Leurs pieds

Aum Namo Bhagavate

Srimaaravindaaya

Namastasyei Namastasyei Namastasyei

Namo Namah

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Sri Aurobindo et La Mère ont affirmé et démontré par leurs propres pas que l’être humain et sa condition sont un être et une condition transitoires – de transition – et que le temps est venu de passer à un autre Etat.

Ils ont appelé cet autre Etat dans leur être et jusque dans leur corps.

Ils ont commencé le triple travail de transformation – de la substance mentale, vitale et subconsciente de notre humanité -, de perméation – de la conscience physique que nous partageons tous -, et de manifestation – d’un autre mode d’existence physique fondé sur l’unité de la Présence essentielle en chaque être.

Et ils ont invité cette nouvelle Conscience-Force à prendre place de guide sur la terre.

En eux deux, à titre d’exemples, la condition humaine régie par le mental et l’ego a été remplacée par une conscience libre de toute séparation, directe, une et souveraine et infiniment libre.

***

AUM

NAMO

BHAGAVATE

***

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Entrée en matière

C’est comme si l’homme était un long passage, un pont à travers les âges, depuis l’animal, jusqu’à l’être « supramental », ainsi que l’a nommé Sri Aurobindo – plutôt que « surhomme », appellation qui prête à malentendu, car il ne s’agit pas d’un homme sublimé aux pouvoirs surdéveloppés, mais d’une conscience de vérité incarnée.

***

Cette transition est dangereuse – pour la terre, pour l’humanité toute entière.

Car les pouvoirs qui ont régné sur la vie humaine pendant toutes ces ères sentent bien que leur emprise est en question et qu’il est temps pour eux aussi de s’offrir à un autre avenir et d’y rejoindre leur source commune ; et la plupart se refusent à cette « fin » et voudraient conserver leurs fiefs et parfois préfèreraient même que tout disparaisse plutôt que renoncer à leur puissance.

Il semble bien que nous soyons aujourd’hui tout au bord d’un désastre, sinon universel, du moins terrestre.

Il est dit et parfois démontré que d’autres désastres nous ont précédés sur cette terre adorable, qui furent les conséquences d’une faillite morale de civilisations s’étant développées de manière trop inégale et insalubre.

Quoiqu’il en fut, il semble peu probable que les proportions que nous connaissons aujourd’hui aient jamais été atteintes auparavant, dans le cours de l’évolution humaine sur la terre.

Par la force même du nombre, nous sommes confrontés à de multiples versions de ce qu’il y a de pire, de plus vil et de plus contraire à la vérité dans notre nature, tandis que les progrès de conscience sans précédents dont nous avons aussi l’expérience apparaissent comme de fragiles falots sur une marée dévastatrice. Et ces avancées technologiques dont nous nous targuons, qui ont le pouvoir de mettre à la portée de presque tous un ordre de satisfactions qui ne font que nous aliéner davantage de la conscience nécessaire, agissent comme une hypnose.

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Une hypnose que l’on pourrait aisément imaginer comme l’effet d’une entreprise délibérée menée par des forces antagonistes dont le but serait d’empêcher le saltus évolutif à l’espèce suivante.

Mais comment cette hypnose peut-elle trouver un terrain si favorable et agir si aisément ?

N’est-ce pas qu’une autre hypnose, plus ancienne et plus profonde, l’a rendu possible ?

***

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L’intention de cet essai

Au cours de cet essai, le phénomène et le fait de la mort physique va être présenté comme la barrière évolutive qu’il faut à présent franchir. (1)

Cela peut apparaître comme une sorte de complaisance « morbide » de s’appesantir sur ce regrettable état des choses, qui fait pourtant bel et bien partie de la nature et avec lequel il nous faut tous apprendre à « faire la paix » ; ce n’est pas ici le cas. Il va s’agir de constater à quel point le fait de la mort détermine tous nos choix, nos besoins, nos instincts, nos attentes et nos espoirs, combien la certitude de la mort se situe en amont de toutes nos décisions.

Ainsi, non seulement nous mourons tous, mais presque tous nos choix et nos actes sont si déterminés par cette certitude que, plus nous cherchons des remèdes et des échappées et plus effectivement nous sommes les otages de la mort.

Et, dans cette condition, toutes nos solutions semblent multiplier son pouvoir destructeur dans le monde matériel.

***

Puis il s’agira de tenter de se représenter les changements qui s’opéreraient en nous si nous devenions capables de nous ancrer dans une continuité concrète de conscience et d’existence, en présence de laquelle la mort perdrait sa suprématie, serait en quelque sorte déréalisée, car son absoluité serait défaite par une nouvelle relativité. (2)

Quelles seraient alors nos priorités, nos valeurs, nos nécessités… ?

***

Parallèlement, sera présentée une esquisse d’une autre nature, qui s’est formée à l’abri de notre ignorance humaine ordinaire, à travers toutes les expériences de nos vies humaines, mais

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invisible et inconnue de notre personne frontale ; une nature qui s’est développée en arrière de la scène jusqu’à ce qu’ici et là elle soit prête à s’avancer dans le monde et se mettre à son travail. (3)

Car cette nature seule peut nous conduire à l’autre Etat, délivrés de toute division et de toute contradiction, capables enfin d’être et d’aimer.

***

Et sera abordée la question d’une pratique nouvelle du choix, en prenant pour objet le très ancien et très persistant problème de savoir si, et quand, la fin justifie les moyens. (4)

Car cette question est aujourd’hui pertinente dans tous les domaines de la vie terrestre, sinistrée par la multiplicité des dommages que notre fière civilisation a infligés à la terre entière.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Il y a-t-il une autre voie ?

Est-il encore temps – pour la Terre, pour ce qui de l’humanité porte assez de grâce pour évoluer autrement, est-il encore temps de discerner un autre chemin matériel et d’apprendre à y marcher ? Existe-t-il un pouvoir capable non seulement d’empêcher la destruction irréversible de cette merveilleuse demeure, mais aussi de défaire et de dissoudre les poisons et les obstructions que nous avons causés ?

***

Est-il légitime, si l’on peut dire, d’envisager une action générique de la conscience qui dissolve en partie au moins l’hypnose qui empêche l’humanité de réaliser les méfaits de son égoïsme et de s’en désister, afin qu’une indispensable harmonie soit restaurée dans le monde physique ?

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Une action de la Conscience-Force sur toutes les consciences individuelles à la fois, pour que toutes soient, en partie au moins, libérées de cette hypnose et des peurs qui lui ont donné son pouvoir, et puissent réaliser l’unité de tout ce qui est. (5)

***

Cet essai va ainsi tenter, d’une part de brosser un tableau sommaire de notre condition humaine et, d’autre part, en se référant à une autre nature émergente, d’aborder la pratique possible d’un autre discernement qui, tel un glaive lumineux, peut hâter la découverte d’un autre devenir matériel et d’un meilleur destin pour la terre entière.

***

13

1

Le fait de la mort

Que savons-nous donc ?

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Alors, voilà.

D’abord et avant tout, nous sommes des créatures physiques et nos certitudes sont, d’abord et avant tout, physiques.

Ce que nous savons physiquement, nous le savons avec certitude.

Il s’agit de faits vérifiables, qui ne souffrent aucune exception.

L’objet que je serre et tiens dans ma main, si j’ouvre la main et le lâche, je sais que cet objet va tomber, qu’il ne peut que tomber.

C’est un savoir physique.

Mon corps connait cette loi de la gravité, l’une des lois physiques qui régissent la conduite des corps et des objets physiques dans l’atmosphère de la terre.

Et si l’on m’explique justement que cette loi cesse d’agir en dehors de l’atmosphère de la terre, où règne l’apesanteur, mon corps peut non seulement le comprendre, mais le savoir et presque l’éprouver.

Mais, parmi ces savoirs physiques, parmi ces certitudes corporelles il y en a une qui domine les autres en ce qui nous concerne.

C’est celle de notre disparition physique individuelle = chaque corps humain vivant va mourir.

Alors que le corps peut se situer en relation avec les lois qui gouvernent l’atmosphère physique de la terre, il n’a aucun recours, aucune marge, aucun choix devant sa propre fin, sa propre cessation et disparition, effectuées par une force sur laquelle il ne peut exercer aucune prise ni aucune influence.

***

Alors, voilà.

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Tous, autant que nous sommes, ne possédons qu’une certitude et une seule : nous allons mourir.

La mort viendra.

Seule, la mort est sûre.

Quels que soient nos accomplissements ou nos manques, nos quêtes et nos découvertes, notre position sociale ou notre situation individuelle, notre condition, nos atouts, nos capacités ou nos infirmités, nous ne savons vraiment qu’une chose : nous mourrons un jour.

La mort est ainsi le seul absolu, que rien, aucun pouvoir, aucune connaissance, n’est capable de remettre en question.

Et même pour ceux qui ont franchi les étapes et obtenu une réalisation spirituelle, la nouvelle certitude qui s’est révélée à leur conscience individuelle n’est tangible que pour les membres subtils de leur être intérieur : l’être physique-même ne SAIT PAS ce qu’ils savent ni ce qu’ils déclarent savoir et n’a pas la certitude concrète d’une existence supérieure immortelle.

Sa seule certitude absolue demeure, que la mort viendra.

Que le corps et toute l’expérience cognitive et existentielle que seul permet le corps, cesseront d’être, seront détruits.

***

Peut-être, dans toute l’histoire et la vie de l’humanité sur la terre, ceux qui, tels les Aborigènes d’Australie, ont développé leur centre d’expérience dans le sommeil, c’est-à-dire par les capacités des corps subtils et non plus seulement par celles du corps matériel mesurable et vérifiable, sont les seuls à avoir pu relativiser le fait de la mort, de la désintégration du corps matériel.

Le fait de la mort effectivement gouverne notre existence humaine sur la terre et chacune de nos vies.

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Il détermine et influence directement le moindre de nos choix, conditionne nos réflexes et nos actes et dicte tous nos comportements.

***

Vainement à travers les âges avons-nous tenté de discerner, d’identifier, de percevoir et d’éprouver une certitude qui puisse, sinon démettre celle de la mort, du moins l’égaler.

Nous n’obtenons que des certitudes secondaires, plus ou moins utiles à notre existence physique expérientielle en termes d’appréhension et de compréhension de l’univers matériel, de jouissance et d’harmonie, ou de connaissance des différents domaines de l’être.

Mais notre approche de ces certitudes secondaires est elle-même informée, sous-tendue et motivée par l’absolue certitude que nous mourrons.

Aucune région de notre expérience humaine n’est libre de la dictature, de l’autocratie de cette certitude.

Aucun de nos savoirs, aucun de nos pouvoirs, innés ou acquis, ne peut atténuer, diminuer, repousser ou mitiger l’impact de la mort ni de son absoluité.

***

La vie et la mort, la mort et la vie

17

Ce constat peut donc être fait : la conscience incarnée dans la matière est effectivement, jusqu’à ce jour, dominée et régie par la mort.

C’est-à-dire, ce qui de la Conscience a pu jusqu’à présent s’incarner est encore exclusivement dominé par la mort.

Le processus-même de l’incarnation est assujetti à la mort, puisque la mort a le pouvoir de l’interrompre et de l’annuler.

Si, par conséquent, l’on veut briser cette emprise absolue sur la vie dans la matière, il faut que puisse s’incarner davantage de conscience, ou un précipité plus puissant et plus proche de l’Unité de tout ce qui est, afin de libérer la vie dans la matière de cette sujétion absolue.

Il faut que, du Suprême, un principe de manifestation consciente supérieur à la mort vienne succéder aux principes déjà manifestés.

***

Il y a bien sûr tous les autres plans et niveaux d’existence où la conscience s’incarne = se manifeste, prend forme et s’exprime.

Mais, et l’on peut vérifier cette expérience de façon répétée, il n’y a que dans la matière, ici sur la terre que, depuis la conscience incarnée l’on peut avoir accès à tous les autres plans et directement au Suprême.

Pour avoir cet accès, il faut prendre un corps humain matériel.

C’est donc ici, sur la terre, que la conscience doit surpasser la mort.

***

Je ne veux pas dire ici que tous, les sept ou huit milliards que nous sommes à ce jour, avons conscience de l’absolu de la mort de la même manière, au même degré et de manière constante.

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L’élan de vie, la joie de la vie, la fougue confiante de la force vitale qui anime chaque corps depuis sa naissance, amplement occupe la demeure physique et anime la plupart des instants qui s’y écoulent. Cet élan vital impérieux dans son innocence et dans son ignorance de la défaite, de la souffrance et de la mort, pourvoie presque chacun de nous de la distance nécessaire par son intensité même. La force de vie, par sa nature même, se sait elle-même éternelle, irrésistible, intarissable et toujours neuve. Mais ici, elle dépend de ce corps humain terrien pour s’exprimer et, s’il lui est retiré, elle aussi, instantanément, cesse – ou tout au moins disparaît. L’influx d’énergie dans le bourgeon sur le point d’éclore, dans la cabriole de la chevrette, le poulain au galop dans la prairie, l’enfant qui court sur la plage, la danseuse qui s’élance pour se joindre à sa note, ne connait pas de contradiction.

Jusqu’à ce que se montre la menace.

***

Depuis la naissance, graduellement se présente l’évidence de la durée limitée comme des stades successifs de toute vie humaine et de la précarité du statut d’être physique dans ce monde physique. Non seulement cette évidence se confirme davantage avec le temps qui passe, mais pas une seule preuve du contraire – d’une autre condition physique ici sur la terre – ne peut être considérée comme factuelle. Le patron est invariable et absolu = ce corps humain naît, grandit et se développe en une capacité adulte maximale et, même avant qu’il n’atteigne cette maturité, il a déjà commencé à se détériorer, jusqu’à ce que le processus de vieillissement prenne le dessus et toutes les facultés diminuent et s’amoindrissent et survienne l’instant final inévitable de la cessation – de la mort. Et ceci est le meilleur des scénarios : car est aussi présentée l’évidence d’une autre gamme de possibilités, la plupart imprévisibles, qui démontrent l’absence de toute sécurité comme de toute garantie.

La mort peut survenir à tout moment.

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Que ce soit le fait du « hasard », de la chance ou du « destin », la maladie peut pénétrer la demeure, un accident peut se produire, une violence peut sévir.

***

L’heure même de la naissance est, l’on peut dire, présidée par la mort.

Car, sur un sédiment sous-jacent de peur, d’anxiété, de doute et d’inquiétude, la mère doit se joindre à un acte de foi et invoquer la « confiance innée » en son propre corps afin de combattre l’ombre qui encercle la scène avec des images de terribles possibilités, tandis que chaque personne présente doit selon sa propre nature s’efforcer de garder ces sombres formations à distance, ou chercher le réconfort dans une variété de superstitieuses postures. Dans ces instants, ceux qui osent affirmer la souveraineté de la Vie courent le risque d’être maudits en silence ou désignés subrepticement par le « mauvais œil » pour se montrer si téméraires et arrogants dans leur confiance, alors que tôt ou tard, la loi va s’imposer de la souffrance et de la mort.

***

« Tant qu’il y a la mort, tout finit mal… » (La Mère)

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Même s’il arrive à nombre d’entre nous de vivre presque leur vie entière sans jamais être directement exposés au fait brutal et physique de la mort, tandis que beaucoup d’autres doivent le côtoyer dés leur plus jeune âge, cette ignorance factuelle ne s’accompagne aucunement d’une quelconque libération de l’emprise absolue de la mort, mais plutôt d’une acceptation de son déterminisme = nous venons au monde, nous croissons et nous développons, atteignons un équilibre relatif, puis déclinons et nous éteignons comme autant de lampes éphémères. Il ne nous vient pas à l’esprit de remettre en question cet ordre final ; et quand bien même quelque sursaut insistait à le faire, nous savons que cela est en vain : une distraction plus ou moins intelligente, mais sans aucune conséquence possible dans la règle des choses. Quant à vouloir modifier de quelque manière la succession des étapes biologiques de l’existence humaine physique, le destin ou le hasard se chargent assez souvent et dramatiquement de les bousculer sans que jamais se produise le moindre évènement suggérant une autre frontière que celle de la mort du corps.

***

L’égalité de tous devant la mort

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Ce constat de la mort pour tous – la seule égalité absolue parmi les êtres vivants – n’a jamais, jamais été détrompé ni contredit.

Aucune brèche ne s’est jamais produite ni formée dans cette inéluctable absoluité physique.

A travers les millénaires sinon les âges, la vie humaine s’est certes trouvée exposée à de bien différentes circonstances et à toutes sortes de conditions physiques souvent extrêmes, à maintes variations de comportement comme à une multiplicité croissance d’identités raciales, culturelles ou sociales.

Mais toujours et constamment et sans exception la mort est intervenue pour détruire le corps.

Derrière tout le bruit et le mouvement, derrière toute la succession incessante d’intensités, de manques, de soucis, de misères, de plaisirs et d’ennuis, il y a cet abîme qui nous attend, sans le moindre soupçon de doute.

Rien d’autre n’est certain.

Cela seul est sûr : nous allons à l’abîme, nous serons pris par la mort.

Détruits.

Physiquement.

***

Notre densité humaine

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Les activités humaines se répartissent en deux champs d’expérience.

Il y a toutes les activités qui acceptent et tiennent compte avant tout de la réalité absolue des étapes de la vie, de la conception à la mort.

Ce sont ces activités qui cherchent à régir pour le bien-être relatif du plus grand nombre les besoins et les dépenses énergétiques des membres du groupe, quel qu’il soit.

Et il y a toutes les activités qui, devant l’inévitable fatalité de la mort du corps, cherchent à nous en émanciper, partiellement au moins, en explorant et en développant ces énergies qui ne sont pas d’ordre physique – bien qu’elles semblent dépendre des instruments physiques pour être appréhendées.

Ainsi, les arts, les sciences, les philosophies, les religions, ont pris forme.

Bien que l’action de la mort réduise tout ce que nous avons pu être, ressentir, percevoir, vivre et vouloir à un phénomène de destruction et de décomposition purement et absolument final et irréversible, il nous semble parfois avoir accès, à travers certaines de ces activités énergétiques qui ne sont pas dédiées uniquement au maintien et à la gestion des besoins et des dépenses, à d’autres plans d’expérience.

Nous ne parvenons pourtant à en isoler aucun élément qui puisse en prouver l’existence indépendante.

***

Nous sommes dans tous nos choix confrontés à la mort, c’est-à-dire que la certitude que la mort viendra détermine chacun de nos choix.

Mais, tandis que nous mourons tous, nous ne mourons pas tous en même temps et chacun de nous peut ainsi observer la conduite d’autrui face à la mort, la sienne propre ou celle des autres.

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Ainsi chacun se forme petit à petit une sorte d’opinion ou de préhension de la situation et de la condition que nous partageons tous.

Ce positionnement – et son élaboration en termes communicables - se transmet dans l’espace et le temps collectifs.

***

L’humanité a évolué.

Le type, la qualité et le degré de satisfaction que chacun va rechercher dans la période d’existence qui lui est impartie varie d’un individu à l’autre – et aussi d’une époque de la vie individuelle à une autre.

Bon gré, mal gré, au cours des âges, par un lent processus de « civilisation », l’humanité à travers ses divers groupements s’est constitué un espace et un temps communs : un espace- temps qui existe parallèlement et presque indépendamment de l’espace et du temps mesurés physiquement.

C’est l’espace-temps de ses acquis.

C’est là que, petit à petit et en dépit de toutes les épreuves internes et externes, les savoirs, les facultés et les capacités, une fois démontrés et acquis, sont mis en commun et en partage.

De même s’est développée, à travers toutes les expériences sous le joug permanent et inflexible de la finalité de toute existence physique et matérielle, une sorte de sagesse accessible et transmissible, une sagesse qui se propose et s’offre à chacun comme code de conduite et comme le cœur vivant et nécessaire et durable de l’humanité même – de l’espèce humaine. Cette sagesse, justement parce qu’elle est devenue transmissible, est notre seule victoire relative sur l’absolu de la mort physique – puisqu’elle survit à la destruction des corps individuels.

Cependant une destruction de tous les corps peut encore advenir ; ainsi cette victoire n’est ni entière ni définitive.

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Et cette « sagesse humaine » est notre réponse collective au fait physique de la mort, de la disparition des personnes.

Ainsi est-elle lourde d’un pathos irrépressible : face à l’inévitable séparation, à l’irréductible destruction, il nous faut pourtant endurer et, sinon vaincre, du moins relativiser la peine et la douleur dans une mesure suffisante pour connaître aussi la satisfaction d’avoir servi le besoin de vivre et la joie d’exister et d’aimer ! De ces qualités et ces valeurs que nous plaçons ainsi au cœur de notre humanité, nous ne pouvons être assurés que par un acte de foi, que le partage croissant et conséquent rend sensiblement plus abordable.

***

Terreur

Nés humains, nous sommes d’abord et avant tout des créatures physiques.

Et, en tant que créatures physiques immergées dans le milieu immense de la Nature physique, nous avons peur de mourir.

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Nous avons de la mort, de son acte destructeur, une terreur dite « viscérale ».

Une terreur physique.

C’est seulement, et très graduellement, par l’effet civilisateur de valeurs partagées, que nous parvenons à nous hisser au-delà de cette terreur et à nous distancier de ce qu’éprouve brutalement notre organisme physique.

Peu à peu, à l’aide des forces vitales et des forces mentales qui circulent partout dans l’atmosphère terrestre et qui ont leurs instruments organiques respectifs dans nos corps, nous apprenons à nous constituer, non plus seulement en créatures régies par les instincts les plus élémentaires, mais en personnalités distinctes et séparées capables de fonctionner vitalement et mentalement - à la fois individus et membres du groupe.

Cette évolution néanmoins ne nous libère aucunement de la mort physique.

Mais elle nous permet de rechercher et de nous servir d’autres modes et qualités de satisfaction.

Car, sans satisfaction d’aucun ordre, notre situation serait positivement intolérable et insupportable.

Et c’est par cette évolution que nous devenons capables progressivement de nous tenir droits, au sens moral du terme, c’est-à-dire d’affirmer la dignité humaine.

***

Cette terreur primaire, qui gît recroquevillée en chacune de nos fibres corporelles, secrète dans nos vies une peur latente qui est constante de la multitude des visages que peut prendre la mort pour se saisir de notre corps et l’anéantir – après plus ou moins de souffrance.

Et ainsi devenons-nous victimes de la violence.

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Tout, potentiellement, peut se révéler source de violence et, sachant la peur bien vivante dans l’autre également, nous-mêmes pouvons être tentés d’exercer la violence ou, au moins, d’en utiliser la menace.

Parce que nous sommes hantés par la peur de mourir, d’avoir à être arrachés à ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous espérons, par l’acte absolu de la mort, nous sommes faibles devant toute menace, de quelque sorte qu’elle soit.

L’on peut donc gagner du pouvoir et de l’ascendant par l’exercice de la menace, avant même celui de la violence.

Nos explorations vitales et mentales de la réalité de l’existence, à la recherche de satisfaction, d’équilibre et de la distanciation qui nous permet de relativiser un tant soit peu la certitude de la mort et de son inévitable évènement, ont aussi pour résultat, selon les priorités élues par la conscience d’être individuelle, de détailler, préciser et raffiner la perversion de ces mêmes valeurs, qui pourtant semblent seules pouvoir constituer un espace commun de civilisation transmissible.

***

La légitimité de la satisfaction

Plus notre satisfaction est vive et plus intense est notre sens d’exister.

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Cette densité d’expérience agit comme un ancrage et nous oublions alors que la mort viendra : que l’accrétion que nous sommes, si complexe et capable soit-elle, n’est que temporaire et demeure ouverte à la destruction absolue de sa base physique et concrète – la seule base que nous connaissions, dont nous puissions vérifier la présence, ou la disparition.

A mesure de la diversification de notre expérience humaine et de l’accroissement de ses possibilités, nous avons pu chacun explorer différents modes de satisfaction – récompenses de nos efforts.

Car notre condition est telle que, non seulement notre existence même est condamnée, mais elle exige de nous l’acceptation de l’effort.

En effet, notre humanité physique ne semble être opérationnelle que si nous l’alimentons de notre effort : toute tâche demande un effort, tout objectif requiert une gestion soutenue de l’effort à fournir, les besoins du quotidien exigent l’effort et, ainsi, chaque satisfaction nous semble d’autant méritée. La question du bien-fondé de la satisfaction ne se pose que dans la mesure où l’élaboration et la transmission d’un espace commun ne semblent être viables que si chacun s’efforce de ne pas exiger sa propre satisfaction individuelle aux dépens du plus grand nombre.

C’est de cette nécessité que se forme le sens moral de la civilisation.

***

L’énergie et la dépendance

Que nous croyions ou non que la conscience individuelle, ou son sens d’exister, continuent après la mort du corps matériel, ou étaient déjà avant sa naissance et sa formation, que nous

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croyions ou non que d’autres plans, d’autres états, d’autres mondes puissent abriter et nourrir quelque forme de conscience individualisée, notre passage dans ce monde et hors de ce monde que seul nous connaissons à présent, se caractérise par notre totale dépendance.

Si nous ne pouvons réellement nous expliquer, ni même précisément percevoir, les différences d’intensité ou de présence accompagnant la venue dans ce monde de nouveaux arrivants, ce qui est certain et invariable est le fait que chacun de nous, à ce stade de notre expérience, dépend entièrement des autres pour la naissance et la formation de cette habitation qu’est notre corps physique et matériel. Et de même, lorsque la mort fait cesser toutes nos fonctions corporelles et ne reste plus qu’une dépouille, il nous faut encore nous en remettre aux autres pour s’en occuper d’une manière ou d’une autre.

Quelque soit notre souci personnel de laisser les choses en ordre, nous n’avons aucun moyen de le faire physiquement : nous sommes forcés de laisser à d’autres ce fardeau ou cette corvée.

Puis nous découvrons physiquement notre dépendance de l’énergie.

Le capital d’énergie dont notre organisme dispose est si réduit qu’il doit être constamment nourri par un nouvel apport, une nouvelle infusion.

C’est par ce premier besoin que nous entrons en rapport avec l’environnement.

Puis nous découvrons graduellement les différentes sources de l’énergie, ses différents modes d’action, ses différents comportements et les différents mouvements qu’elle suscite ou nécessite de notre part.

Nous devenons familiers de ses passages dans le corps.

La faim, la soif, le besoin d’activité ou de sommeil, le besoin sexuel.

Certains de ses passages altèrent le corps plus tangiblement et visiblement alors même qu’ils animent et mobilisent un engagement émotionnel plus intense : ainsi le désir sexuel, par lequel la verge se gonfle et durcit et se dresse vers l’accueil, les seins se tendent, les lèvres profondes s’inondent dans l’attente de la pénétration.

La forme change selon l’énergie qui la parcourt et l’anime.

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Et, dans l’orgasme, un autre lien fugitif, une rencontre insaisissable de l’union, de la réponse qui nous a tant manqué – et qui encore et encore nous échappe et s’enfuit, comme si nous mourions là aussi.

Mais d’où viennent ces courants, de quelle source constante ont-ils surgi ?

Quand bien même, par un effort plus ou moins effectif de notre volonté individuelle – que nous devons apprendre à éduquer et entraîner – nous parvenons à nous abstenir de telle ou telle satisfaction immédiate, nous demeurons entièrement ignorants de l’origine de ces pulsions d’énergie.

Pour continuer de vivre, d’exister dans le monde physique, il nous faut constamment nous en remettre à de nouveaux appels d’énergie : tout désir, tout besoin, toute attraction, toute émotion, d’abord, puis toute pensée, toute idée, tout projet, tout examen, tout engagement de la volonté et de l’intelligence, un peu plus tard, nous mettent en rapport avec des énergies correspondantes qui ont de multiples effets dans notre propre réalité individuelle comme autour de nous et dans les autres.

Nous devenons participants d’une complexe circulation de l’énergie, impliquant constamment la perte, l’échange et le gain.

Mais nous n’en avons ni la maîtrise, ni la connaissance entières.

***

Presque toutes nos relations se construisent autour d’un échange.

Il y a un mutuel investissement, qui évolue depuis le marchandage primaire au donnant- donnant puis à l’enrichissement mutuel.

L’objectif est constant : l’obtention d’une forme ou d’une autre de satisfaction, afin de compenser autant que possible au fait de notre mortalité personnelle.

Qu’il s’agisse d’affection, de stabilité, de continuité, de confort, de stimulation, de retour de soins, de compagnonnage, de soutien moral ou matériel, nous cherchons tous à nous garantir une satisfaction suffisante et suffisamment distribuée pour pallier à la solitude physique et

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accomplir aussi bravement que se pourra le périple fatidique de la naissance à la mort – que notre corps rencontrera seul.

***

Et l’énergie qui nous parvient n’est pas toujours neutre.

Son influence peut être bénéfique ou maléfique selon le domaine d’où on l’a sollicitée.

Humains, nous sommes devenus capables de manifester les perversions les plus obscures et les plus contraires – ainsi la capacité d’infliger délibérément la douleur, d’exploiter sciemment la faiblesse de l’autre, les sévices, la torture -, comme nous pouvons aussi porter au monde de sublimes beautés, de vastes générosités, les harmonies et les illuminations des plus hautes sphères.

Et tout cela est énergie.

***

Et tout cela, potentiellement ou effectivement, la mort l’anéantit, abruptement, en ce qui nous concerne individuellement.

Peut-être, vivants, arrive-t-il que nous soyons des génies, des prodiges, ou des monstres.

Les marques que nous laissons quand la mort nous réduit en poussière demeurent actives dans l’espace humain partagé et, en cela, nous obtenons pour une part de ce que nous fûmes, une durée indéfinie.

***

Une leçon, cependant, que chacun de nous apprend avec plus ou moins de grâce, est que plus nous donnons et plus nous sommes aptes à recevoir.

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L’enfant qui, s’amusant, se donne au jeu sans compter, exubérant, reçoit plus d’énergie que s’il était resté assis à regarder jouer.

Plus nous nous donnons, plus conséquente est notre ouverture.

Ainsi franchissons-nous une première marche, depuis la seule dépendance à la participation.

Ce progrès constitue l’un des facteurs civilisateurs de notre espace commun.

***

Mais quand la mort agit, il y a cessation d’énergie.

Comment ?

Où se situe l’intervention ?

D’où opère-t-elle ?

Et où commence le processus de la défaite du corps, du vieillissement graduel qui, dans son activité cellulaire, l’amène inexorablement à la trahison de son intégrité organique et rend la mort d’autant plus nécessaire ?

***

Notre dépendance demeure entière, du premier au dernier instant.

Nous demeurons séparés de l’énergie qui anime tout par un voile d’ignorance, comme nous le sommes du fait de la mort.

Certes, il est possible d’observer une discipline individuelle qui nous permette, à condition de développer une volonté considérable, de nous dissocier progressivement des désirs et même des besoins et, éventuellement, nous pouvons ainsi amener notre organisme physiologique à sa propre faillite.

Nous n’avons pourtant percé ni le mystère de l’énergie ni celui de la mort.

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Oui, nous étudions la matière dans ses états énergétiques les plus fondamentaux, là où justement elle n’est plus qu’énergie, et nous avons même saisi certaines intersections et appris à reproduire certaines conditions afin d’obtenir une multiplication d’énergie accessible et exploitable.

Qui se retourne contre nous.

Qui se joint à la force destructrice de la mort.

Y a-t-il une autre voie d’affranchissement ?

***

Où est l’illusion ?

C’est le fait de la mort physique, de la cessation de l’existence corporelle individuelle, qui nous a induits à poser la question de l’illusion.

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Qu’une réalité si concrète, si vivante, si ressentie, si éprouvée, si personnelle et si partagée à la fois, puisse être condamnée à l’entière disparition, n’est peut-être explicable que par un phénomène d’illusion.

Pourtant ce n’est pas la mort, de toute évidence, qui peut être considérée comme illusoire, puisque les conséquences de son intervention sont accablantes et absolument concrètes.

Ce qui était, n’est plus.

Ce qui vivait, a disparu.

Il ne reste qu’un organisme qui se décompose, ou des cendres, ou un squelette.

Mais la vie, elle, peut-elle être considérée comme une illusion ?

Non plus.

La vie, comme la mort, tant qu’elle dure, est indéniable, irréfutable et presque totalement convaincante : une fissure, une faille de doute altère, envahit sa beauté, par où survient la peur – la peur de la destruction.

Donc, nous en sommes venus à situer l’illusion dans la croyance que nous avons de notre propre existence séparée, que nous cherchons à préserver malgré la mort certaine et à laquelle nous sommes attachés et rivés comme à un pieu dans le champ de l’univers. Or, c’est précisément cet attachement qui, selon une observation très largement partagée, engendre la douleur et la peur et tous ces actes égoïstes qui nuisent au bien-être et à l’harmonie de l’ensemble. Il est donc généralement convenu qu’un certain effort individuel pour atteindre un relatif détachement, est une nécessité pour chacun au cours de son développement, d’un point de vue éthique.

Cette nécessité a été traitée différemment selon les religions et les philosophies les plus influentes, suivant leurs intérêts respectifs ou d’après les tempéraments collectifs concernés.

Que ce soit l’injonction à bien se conduire pour mériter l’accès à un monde de perfection, invisible de notre vivant mais promis, ou que ce soit l’admonition plus extrême et austère selon

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laquelle seul le Soi impersonnel, éternel et infini existe et cette apparente manifestation que nous appréhendons par nos sens corporels est entièrement et fondamentalement illusoire, un piège ou, tout au plus, une école d’éveil – la thèse de l’illusion de ce monde et de sa réalité, a joué et continue de jouer un grand rôle dans cet espace humain partagé.

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Cependant, d’autres courants de compréhension et d’autres approches se sont peu à peu définis quant à la nature même de l’illusion qui doit être identifiée et dissoute.

L’approche des occultistes et des initiés se fonde sur des études et explorations répétées et reproductibles de domaines subtils, à l’aide d’organes subtils de perception qui peuvent être éveillés et développés méthodiquement, réalités en quelque sorte parallèles à la réalité physique avec lesquelles il est possible de discerner des correspondances matérielles vérifiables, non plus par les sens, mais par l’observation attentive et l’intelligence.

Si beaucoup d’entre ces chercheurs se sont contentés d’exploiter ces sources parallèles pour agrémenter ou augmenter leurs capacités personnelles, beaucoup d’autres se sont soucié d’atteindre une connaissance plus haute, plus profonde et plus ample. Par une discipline aussi scientifique que celle d’un astronome, ils ont confirmé l’existence de ces autres réalités qui, si elles n’ont ni la fixité ni la densité de la matière, ont toutefois leur permanence et leur dynamique et sont gouvernées par leurs propres lois, indépendamment de ce monde physique dont nous partageons l’expérience.

Ils ont aussi confirmé que, dans certaines conditions et par certaines méthodes, il est possible de faire intervenir la dynamique de l’une ou l’autre de ces réalités dans la notre.

Ils sont donc en mesure d’affirmer que cette réalité physique et matérielle dans laquelle nous existons individuellement n’est pas la seule, et que nous pouvons avoir accès consciemment à d’autres plans d’existence.

Par conséquent, ils peuvent déclarer avec certitude que l’existence de la conscience ne dépend pas exclusivement de celle du corps physique.

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***

Il y a donc une sorte d’illusion à croire que seule cette vie matérielle existe, que seul ce monde matériel est réel.

Mais cette découverte ne nous allège guère du poids de la mort.

Nul jusqu’à ce jour n’a pu démontrer qu’il y a survie de la personne après la mort du corps et la cessation des instruments matériels.

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Nous avons bien sûr nos fantômes et nos apparitions et nos communications diverses avec ce que nous appelons nos « défunts ».

Mais ce ne sont que des bribes ou des traits, non la personne entière telle que nous l’avons connue.

Et il y a peut-être là une bonne raison : un bienfait.

***

Notre personne frontale, notre personnalité en tant qu’individu séparé et membre conscient de la collectivité, se forme et se compose et s’agglomère et s’organise par une sorte de constant bricolage à partir de matériaux, d’éléments et d’indices qui nous sont légués génétiquement et biologiquement d’abord, puis par notre environnement et nos circonstances d’une part et d’autre part et simultanément à l’aide de notre propre et unique orientation et capacité de choix et d’assimilation progressive.

Confrontés à notre précarité en tant que créatures, nous sommes aussi assujettis à une charge subconsciente qui nous accable et alourdit toutes nos réponses.

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Dans ce processus de formation de la personnalité, le regard de l’autre joue un rôle considérable.

De même la répétition, attendue de l’autre et désirée par soi-même afin d’établir la stabilité et la continuité de notre identité personnelle, malgré le flux constant des influences, joue son rôle.

Ces tracés répétitifs forment peu à peu des ornières pour le passage de l’énergie constamment renouvelée : il nous faut être cette personne particulière avec ses caractéristiques reconnaissables et son comportement et il est bien entendu que nous resterons fidèles à cette image et ne la laisserons se modifier que selon les termes génériques des phases et des accidents de la vie humaine.

Nous jouons le jeu.

Jusqu’à la mort.

C’est entendu.

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Ces ornières pourtant, si nécessaires, sont aussi les agents de l’usure.

Il y a déperdition : à mesure que se distancie le premier mouvement de puiser à l’énergie pour grandir et devenir, et que se cristallise une formation personnelle, l’élan de l’être vers l’avenir s’assagit et devient calculateur.

Il y a enlisement, étouffement, encombrement, fatigue.

Quel que soit le résultat, à nos propres yeux comme à ceux des autres, quels que soient nos succès ou nos déroutes, nos subterfuges ou nos offrandes, cette personnalité que nous revêtons et à laquelle nous nous identifions, qui devient notre bouée de sauvetage parmi les vagues et la houle du monde, devient aussi notre carcan.

Si chacun est ainsi en partie le créateur de la personnalité qui lui sert de passeport dans la société, chacun s’en trouve autant l’esclave et le prisonnier.

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De cette illusion d’être, de ce rôle assemblé de-ci de-là d’éléments dépareillés, de cette création plus ou moins réussie, c’est la mort qui nous libère.

La mort, le pourfendeur de l’illusion de soi ?

Dans la grande majorité des cas individuels, en effet, nous éprouvons une libération immédiate : du poids, de la pesanteur de l’existence humaine matérielle séparée, comme un presque noyé qui soudain est relâché et monte rapide et droit vers l’air et la lumière.

Le vêtement de plomb a glissé de nos épaules.

Nous cessons d’être ce masque, cette crispation, cette fabrication.

Nous ne sommes plus.

Et pourtant… !

***

Où commence le travail d’évolution ?

La mort nous barre la route.

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Aucun pouvoir n’a encore pu lui faire céder le passage.

Son acte est inflexible, sa loi est absolue.

La mort est sans pitié.

***

Et pourquoi voudrions-nous durer plus encore, tels que nous sommes ?

Ne jamais cesser cette charade ?

Parce que nous avons ce projet, ce don, cette capacité, ce talent, cette aptitude, cette qualité, nous voudrions demeurer, les mêmes, pour les temps à venir ?

***

Aujourd’hui nous croyons peut-être que par nos exploits technologiques, nous pourrons enfin déjouer la mort en investissant notre sens d’exister individuel – savoirs, perception de soi- même, dons et acquis, mémoire et espérances, tous transposés en données informatiques - dans des instruments robotiques qui nous serviront de véhicule et de moyen d’expression, nous libérant par la même entourloupe de tout besoin physiologique.

C’est ne rien comprendre à ce qu’est la conscience, dont la force mentale et son organe le cerveau, la force de vie et ses organes de perception et d’action, ne sont que les instruments les plus évolués à présent sur la terre.

***

Donc, voilà.

Il y a la mort.

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Il y a notre mort.

Dans notre vie.

Parce que nous sommes séparés ?

Parce que les instruments dont se sert la conscience pour s’exprimer à travers nous, instruments développés par les forces de la nature comme tous les organismes terrestres vivants, ne sont pas suffisants ?

***

L’ego, ce « Moi-Je », cette compulsion constante qui nous fouette et nous harcèle et nous enjoint de nous composer une personnalité séparée et de lui pourvoir ses traits et ses termes spécifiques, est tributaire d’un état de contradiction, d’opposition et de polarité, qui constamment l’oblige à se situer et se positionner par rapport aux autres et au monde. Un minuscule pantin secoué par les courants d’énergie qui sillonnent le monde physique, il doit se raidir et se durcir et se préciser à l’aide de motivations vitales et d’intelligence, pour former et affermir les barrières et les moules nécessaires à son propre développement et à sa survie. Il doit veiller à se protéger d’en bas – où le subconscient menace de l’engloutir -, de tous les côtés – d’où le monde pourrait à tout moment le rejeter, d’en-haut – d’où la vastitude informe pourrait l’écraser.

C’est l’ego qui par tous les moyens cherche à faire abstraction de la mort – ruine de son projet.

C’est l’ego qui, vorace, exige d’être satisfait ; c’est l’ego qui est avide de reconnaissance.

Il ne peut y avoir satisfaction que s’il y a séparation.

S’il y a satisfaction, c’est l’ego qui s’en nourrit.

Il n’y a pas, d’un point de vue impersonnel, de différence qualitative entre la satisfaction d’avoir accompli son devoir au service de la nation, d’avoir recueilli un chien errant, d’avoir préparé un mets délicieux ou d’avoir réalisé la présence spirituelle en toute chose.

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Les forces évolutionnaires de la Nature sont impartiales.

Telle situation donnée peut évoluer pour le pire ou pour le meilleur, selon les agents concernés.

***

Lorsque la conscience humaine individuelle éprouve le besoin d’évoluer, c’est-à-dire d’accéder à un autre seuil de perception et de devenir, le questionnement impliqué doit être assez intense et orienté pour franchir les limites du connu.

Au cours du temps, nous avons ainsi pu observer les seuils franchis et en témoigner.

C’est le plus souvent, mais pas exclusivement, dans un contexte d’extrêmes nécessités que les avancées évolutives se sont produites.

Lorsque, êtres humains parmi notre multitude croissante, nous entrons dans un mouvement et un effort d’introspection, cherchant à comprendre et savoir ce qui nous anime et nous motive et ce pour quoi nous sommes et la cause de nos souffrances et de nos impuissances et l’origine de nos dons, nous nous joignons à la force évolutive. Plutôt que du seul progrès des instruments, nous sommes en quête d’un progrès de conscience – d’un plus sûr discernement, d’une plus sûre capacité de choix, d’une plus vaste étendue de perception, d’une connaissance plus directe des êtres et des choses et de l’univers.

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Et si…

Quelle réalité humaine ?

« Jusqu’à ce que la mort nous sépare… »

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Ainsi sont célébrés les vœux de mariage, le serment de fidélité entre deux êtres qui s’apprêtent à joindre leurs vies.

Nous voici donc engagés, pour toute notre existence d’homme ou de femme, de cet instant jusqu’au « dernier ».

Toute l’expérience des jours et des ans sera l’occasion désormais de vérifier notre loyauté, notre intégrité, notre résilience, notre fidélité, notre générosité, notre patience.

Ce sont ces engagements – service d’une œuvre ou de son pays, épousailles, mise au monde, promesse d’amitié - qui nous servent d’étalon pour apprécier notre valeur humaine par l’expression de ces qualités qui nous rendent dignes de l’espace commun.

Bon an mal an, chacun de nous est mis en rapport, par les autres, par le milieu, avec l’une de ces trajectoires exemplaires qu’il sera de notre devoir d’émuler.

Tout écart devra être honorablement justifié.

Car il en va de l’intégrité du groupe, de la société, du modèle d’humanité qui nous sert à tous de phare et de mesure et seul nous permet de nous hausser un tant soit peu hors de notre mortalité.

***

Même aujourd’hui, alors que toutes nos valeurs justement sont brassées, nos traditions respectives sont mises à mal par la brutalité de la différence, et l’exploitation de tous les appétits est encouragée pour le confort et l’ « ouverture » du plus grand nombre, ces trajectoires, bien qu’abîmées et malmenées dans le mélange général, n’en sont pas moins actives.

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Ainsi allons-nous de-ci de-là, dans la solitude et dans la foule, accompagnés d’ombres et de clartés, tandis que se présentent à nous telles et telles options, variations sur les mêmes thèmes.

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