Sur le Chemin d'Auroville

Sur le Chemin d’ Auroville

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Sur le Chemin d’Auroville

La Ville dont la Terre a besoin

La Ville au Service de la Vérité

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Shakti

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La Mère

Qui est-Elle ?

Elle, la Mère :

Jamais et nulle part dans l’histoire entière de la Terre n’a pris place et eu lieu une incarnation si complète et intégrale de la Shakti – ceci est un fait, un fait absolu. Aucune émanation ou incarnation passée ou présente de la Shakti ne peut se comparer à celle de la Mère. Elle qui, chaqu e jour et chaque nuit de Sa vie faisait l’expérience d’états de conscience que la plupart des chercheurs, des saints et des sages ne rêveraient pas d’atteindre en une seule existence, Elle était ici durant 95 années : ici sur cette Terre, ici parmi nous tous, ici dans un corps humain frêle et fragile, ici pour servir, pour travailler, pour agir, ici pour y appeler un nouvel âge et un être nouveau – une expression plus complète et plus intégrale de l’Un. Elle qui versait inconditionnellement et sans relâche sur tous ceux qu’Elle rencontrait Son amour et Sa sollicitude, Sa connaissance et Sa force et S on pouvoir d’harmonie, Elle qui prenait dans Ses bras chaque être, si ignorant ou même antagoniste fut-il, et le plaçait dans la lumière de l’Un, Elle est venue faire Son travail : ouvrir un passage et un chemin à notre humanité vers la prochaine étape de l’évolution dans la Matière.

A cette tâche Elle S’est donnée sans réserve : Elle a donné l’exemple même d’un don de soi absolu et entier.

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Ce ne sont pas juste des mots : à chacun d’explorer les innombrables récits et descriptions de Ses actions et de Ses soins, de s’immerger dans l’univers de Ses propres paroles et expressions, de contempler ce que Lui, l’Avatar, Sri Aurobindo, a dit d’Elle et vous commencerez de sentir la mesure de sa Présence et de Son être.

Et pourtant Elle demeurera incompréhensible à l’intelligence humaine.

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Dans l’Inde , nous disposons du terme « Shakti », qui embrasse de nombreux aspects et niveaux d’expression : la Créatrice, l’Energie -Force de la Conscience, le pouvoir actif ou agissant du Suprême Parameshwara, la Mère de tous les êtres et de tous les mondes, la Puissance infinie et infiniment détaillée de la Manifestation ; c’est aussi, en termes plus pratiques et immédiats ; l’énergie qui traduit les idées et les concepts en actions effectives et en situations concrètes. C’est parfois compris ou interprété comme « Prakriti », la force de la Nature aux ressources inépuisables, que ce soit d’un ordre terrestre ou d’un autre plus subtil, complémentant la vision et la conception silencieuses de l’esprit immobile, « Purusha ». Dans Son principe d’effectuation, l’on peut identifier une multitude de « shaktis » et l’Inde regorge de leurs formes et caractéristiques, associées à des déités et de s domaines d’intérêt particuliers.

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Toutefois, Elle que nous nommons la Mère, Se tient au-dessus de toutes, les embrassant toutes et les surpassant librement.

Elle, la Mère, et Lui, Sri Aurobindo, Elle et Lui, Lui et Elle : et ainsi l’a -t-Elle écrit : « Sans Lui, je n’existe pas – Sans moi, Il n’est pas manifeste »

Srimirraaravinda

Leur Travail fut de faire descendre ici dans le jeu des forces le prochain principe de Conscience, ce principe qui est en train de remplacer le Mental au gouvernail de l’évo lution.

Ceci Ils ont accompli.

Et Ils ont commencé de tailler un chemin dans la condition la plus matérielle, afin que la Matière elle-même devienne directement consciente et expressive de la plus haute condition d’existence.

Tel a été le Yoga de la Mère, Son aventure dans l’inconnu à travers Son propre corps.

A travers Son Yoga de la Terre, Elle a ancré la nouvelle conscience dans celle de nos cellules matérielles et montré la possibilité d’une conversion entière et compréhensive de la matière vivante à l a Présence de l’Un en tout ce qui est – Cela, qui ne peut être nommé ni défini, mais dont l’on peut commencer d’avoir l’expérience, partiellement et graduellement, dés que l’on se tourne de tout son être vers l’éternelle, essentielle divinité en tout ce qui est.

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Durant toute Son existence physique sur la Terre cette fois, Elle a, par l’exemple et l’action directe, démontré le pouvoir de la Conscience : comment, par la réceptivité et le dévouement à la vraie Conscience-Force, tout peut être accompli, dans les termes d’une harmonie toujours progressive. D’abord Elle et Lui, Lui et Elle, franchirent les barrières et limites de la conscience humaine, bien au-dessus des plus hauts royaumes du mental et par-delà les dualités et les polarités, jusqu’à atteindre l a vibrante infinité de la plénitude consciente. Alors, S’en revenant, Ils procédèrent à l’ouverture, l’illumination et la perméation des plans, des forces et des êtres du mental, puis de ceux de la vie, jusqu’à ce qu’Ils puissent assurer un terrain propice à un commencement de réalisation collective. Mais la tâche la plus ardue et la plus brutale attendait, celle d’ouvrir les couches sous -jacentes de notre condition, les cavernes de notre obscurité, les sombres fondations de notre humanité. Inconnus du monde, sans que nul ne puisse le comprendre encore, Ils ont plongé et lutté sans répit, jusqu’à pouvoir établir les tout premiers signes et prémisses d’un nouvel être dans la Matière, un être qui grandirait en conscience et en capacité d’expression à la mesure de son aspiration et de sa réceptivité à la Force de Vérité.

C’est alors qu’Il se retira « de l’autre côté » du voile que l’on nomme « mort », afin de construire une base d’action juste en -

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deçà du plan physique, tandis que toute la responsabilité du progrès réel de l’entreprise resterait avec Elle.

En effet, Elle était laissée en avant, seule apparemment, pour me ner et guider et s’aventurer, pour ouvrir la voie et poser les conditions du passage, invoquant et appelant une nouvelle Descente, travaillant sans cesse à la purification et l’unification de Son propre être physique et de son action. Elle élargit et diversifia Son environnement immédiat, propulsant tous ceux qui L’entouraient vers l’avenir de la race humaine. Défaisant tous les murs des conditionnements, réfutant la division entre esprit et matière, Elle affirma et servi et incarna le sens véritable de ce monde manifeste, démontrant que par l’union et l’unité seulement l’humanité parviendra -t-elle à remplir sa mission. Ni par le conflit ni par le renoncement, la domination ni la soumission, la compétition ni la docilité l’humanité ne réalisera son être véritable, mais en découvrant et en servant la réalité de l’Un.

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La naissance d’Auroville et le Yoga de la Mère

Bien que la Mère ait de longtemps abrité la semence d’une nouvelle création sur la Terre - un homme nouveau et une nouvelle cité ont été bien des fois déjà tentés, annonciateurs et promesses d’un avenir encore distant - , ce n’était que maintenant, qu’à présent Elle pouvait changer cette « demeure de chair » en l’habitat ion béni e de l’Un, au moins dans l’expérience sinon déjà dans l’expressi on et la forme tangibles, c‘était maintenant qu’Elle pouvait initier le processus d’une avance plus collective d’évolution accélérée et concentrée, afin de préparer le berceau de l’être nouveau.

C’était maintenant, et seulement maintenant, qu’Elle pouvai t sommer la naissance d’Auroville.

Ce ne pourrait être d’abord qu’une approximation, une première expression collective de l’aspiration humaine vers une vie plus vraie sur la Terre, mais il s’y développerait éventuellement une capacité de réalisation de soi, pourvu que ses participants gardent la flamme vivante et croissante.

Et ainsi, la Mère lança Son appel.

La Mère, par définition, a d’innombrables enfants ; parmi eux se trouvent ces âmes qui ont suivi Ses pas sur cette Terre, encore et encore, âmes qui ne sont plus en quête de leur propre repos ou libération, mais se sont consacrées à la réalisation de la promesse

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éternelle – quand la Terre entière enfin deviendra le site matériel d’une union vivante et d’un devenir illimité.

A chacun de Ses enfants Elle ouvrit Ses bras et donna Ses bénédictions, même à ceux que leur naissance physique avait temporairement aveuglés à leur propre vérité d’être.

Elle avait déjà réunis auprès d’Elle quelques -uns de Ses assistants de toujours et pu les protéger et les nourrir de Sa Force afin qu’ils puissent, cette fois -ci, La seconder dans Sa tâche. Mais Elle savait cependant que nul ne pourrait, si Elle devait à Son tour Se retirer, se tenir en avant en Son nom.

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Auroville naquit le 28 Février 1968, juste une semaine après Son 90 ème anniversaire.

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Deux processus simultanés s’accéléraient dans Son corps.

Elle « vieillissait » visiblement.

Et pourtant quiconque entrait dans Son atmosphère physique immédiate éprouvait aussitôt et concrètement la Présence : tout

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en Elle et autour d’Elle était empli de la Présence, il n’y avait que Cela – la Conscience-Force , l’infinité incarnées, l’éveil entier, la paix absolue, l’amour sans limites, la connaissance directe, l’énergie inépuisable, le pouvoir irrésistible d’harmonie.

Son action, comme Son atmosphère, devenaient de plus en plus tangibles. Il y avait de plus en plus de journées durant lesquelles des centaines d’individus défilaient devant Elle dans Sa chambre du haut, en silence complet. En même temps, implacablement Elle poursuivait Son Yoga pour la Terre, dans la conscience des cellules de Son corps qui s’éveillait rapidement, Son agrégat physique et matériel, ses organes et fonctions vivant un formidable changement de perception et ceci causait des bouleversements souvent extrêmes, la contradiction devenant une source d’agonie. Le plus Elle avançait sur ce chemin inconnu et le plus Elle ressentait l’interrelation de tous et de tout et le plus difficile il Lui devenait de communiquer ce qui existait par-delà nos mots, nos pensées et concepts et qui pourtant était infiniment plus réel et plus vrai que toutes nos existences régies par l’habitude et la routine.

Elle Se trouvait dans deux mondes, ou deux conditions à la fois.

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Qui pouvait le comprendre ?

Dés les commencements de Leur travail ensemble, Elle et Lui avaient déterminé que l’un de Leurs premiers objectifs devrait être le développement de la capacité de prolonger la vie du corps aussi longtemps que nécessaire – non pas l’ immortalité physique, qui serait l’apanage d’une espèce nouvelle libre des procédés actuels d’entretien et de reproduction, mais un nouvel équilibre des cellules qui permettrait un renouvellement suffisant et une continuation harmonieuse afin de servir l’œ uvre à accomplir. Mais ceci exigeait un environnement qui ne Lui était pas offert et il est devenu graduellement évident qu’Elle ne pourrait pas en même temps demeurer physiquement accessible et active tout en Se concentrant sur les demandes de ce nouveau Yoga – cette concentration impliquant une protection effective de toute contagion et une mesure de compréhension et de perception de la part de Son entourage physique, deux conditions qui n’étaient pas suffisamment remplies.

Ce faisant, et en correspondance étroite avec la marche de Son Yoga, le monde tout entier était comme rué en avant et Son souci constant était de S’assurer qu’assez d’harmonie était activement répandue afin d’éviter la destruction.

De plus en plus d’hommes et de femmes, pa rfois de très loin, comme par un aimant interne invisible étaient attirés par Sa Force et, souvent abasourdis, déconcertés, franchissaient un seuil inconnu et se trouvaient profondément touchés et conquis par

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Son immensité, s’engageant spontanément à La servir à jamais, quoiqu’il puisse arriver.

Pourtant, dans Son proche entourage, bien peu étaient assez silencieux et réceptifs pour qu’Elle puisse encore essayer d’expliquer, de décrire ou d’évoquer Son expérience croissante de l’être nouveau, pas encore ou vertement manifeste, et de sa conscience. La plupart, sans le vouloir ni même s’en rendre bien compte, L’approchaient avec leur habituelle humanité encore inchangée et jetaient sur Elle les formations ordinaires de l’âge, d e la décrépitude et de l’inévitab le décès ou défaite – de la mort. Et Elle ne trouvait personne à qui Elle puisse confier la tâche d’organiser et d’orienter le travail extérieur, tel que l’aventure d’Auroville.

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Elle, la Shakti au-dessus, tout en haut, peut accéder à l’entière connaissance de tous les procédés ; ici néanmoins, dans un seul corps humain minuscule et si précaire, Elle devait encore dé couvrir et identifier ces clés secrètes qui furent déposées dans la matière vivante pour le jour où l’intervention de la mort cesse ra d’être nécessaire.

Elle, la Shakti au- dessus, est la source d’incalculables formations et représentations de Ses aspects et pouvoirs ; et Elle, la Mère, peut émettre des émanations permanentes de Sa Présence

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consciente chaque fois qu’il est nécessaire et ceci Elle a fait pour chacun de ceux qu’Elle a accepté dans Son travail de transformation. Mais collectivement aussi Elle a issu de telles émanations qui assureraient un degré de protection et de direction – et Elle l’a fait pour Auroville également.

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A mesure que progressait Son Yoga, Elle vit le besoin de Se retirer de la dimension personnelle et de sevrer Ses enfants, leur apprenant silencieusement à devenir conscients de Sa Force et de Sa Présence directement. En 1969 Elle constata que la nouvelle conscience avait comme pris racine dans l’atmosphère terrestre et commencé d’y jouer un rôle actif dans le travail général, tout en veillant, presque comme un entraîneur, sur ceux des chercheurs et sadhaks qui lui étaient réceptifs.

Elle commença à déléguer.

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Le jour de la naissance d’Auroville, Elle avait écrit et lu à voix haute sa Charte :

Charte d’Auroville

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Après quelques temps, ceux qui avaient déjà choisi de commencer à vivre et travailler sur la terre même d’Auroville, ce vaste plateau désert de terre orangée, Lui demandèrent ce que devaient être leurs lignes de conduite, leurs repères essentiels : les obstacles, les défis et les questions étaient nombreux, quelles devraient être leurs lois de vie et les indicateurs des progrès à faire ? Ainsi, Elle dicta en partie, écrivit en partie, les lois du chemin à faire. La première nécessité est la découverte intérieure pour savoir ce que l'on est vraiment derrière les apparences sociales, morales, culturelles, raciales, héréditaires. Au centre, il y a un être libre, vaste, connaissant, qui s'offre à notre découverte et qui doit devenir le centre agissant de notre être et de notre vie à Auroville. On vit à Auroville pour être libre des conventions morales et sociales; mais cette liberté ne doit pas être un nouvel esclavage à l'ego, à ses désirs et à ses ambitions. L'accomplissement du désir barre la route à la découverte intérieure, qui ne peut s'accomplir que dans la paix et la transparence du parfait désintéressement. L'Aurovilien doit se libérer du sens de la possession personnelle. Pour notre passage dans le monde matériel, ce qui est indispensable à notre vie et à notre action est mis à notre disposition suivant la place que nous devons occuper. Plus nous sommes consciemment en rapport avec notre être intérieur, plus les moyens exacts nous sont donnés. Le travail, même manuel, est une chose indispensable à la découverte intérieure. Si l’on ne travaille pas, si l’on ne met pas sa conscience dans la matière, celle-ci ne se développera jamais. « Pour être un vrai Aurovilien.

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Laisser la conscience organiser un peu de matière à travers son corps est très bon. Mettre de l’ordre autour de soi, aide à mettre de l’ordre en soi. On doit organiser sa vie non pas selon des règles extérieures et artificielles, mais selon une conscience organisée intérieure, parce que si on laisse la vie sans lui imposer le contrôle de la conscience supérieure, elle devient flottante et inexpressive. C'est gaspiller son temps, dans ce sens que la matière reste sans utilisation consciente. La terre tout entière doit se préparer à l’avènement de l’espèce nouvelle, et Auroville veut travailler consciemment à hâter cet avènement. Peu à peu nous sera révélé ce que doit être cette espèce nouvelle, et en attendant, le meilleur moyen est de se consacrer entièrement au Divin. »

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Cette Conscience-Force impersonnelle avait atteint et touché dans toutes les directions et dés lors chacun de ceux qui venaient à Elle était représentatif d’un type d’humanité ainsi que d’une sorte particulière de contradiction et à chacun de ces êtres Elle donnait Son entière attention : Elle pouvait ainsi Se donner sans compter au bandit le plus endurci aussi bien qu’à l’aristocrate le plus cultivé : Elle ouvrait les secrets de leur cœur et leur révélait, d’un seul regard, la pure grâce qui demeurait au -dedans et au dessus d’eux.

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Elle et Lui ont changé la perspective de ce qu’il est convenu d’appeler le « progrès spirituel » - réaliser son être intérieur, s’élever au - dessus du mental et devenir conscient de l’Infini, se fondre dans le Soi unique de tout ce qui est, ou essayer d’aid er l’humanité à se défaire du joug de l’attachement et de l’existence physique et à trouver la paix - ; de tels objectifs ne suffisaient plus et perdaient même toute pertinence alors que le monde tout entier plongeait dans des bouleversements et des mutations jamais connues ni vécues auparavant. Il y a, étaient-Ils venus annoncer, une intention essentielle et un but central derrière toute l’évolution et l’être humain tel qu’il est ne peut être son ultime étape ou échelon. Les contradictions de l’humanité ne peuvent être l’ultime accomplissement des forces de la Nature : l’unité, l’union qui soutient tout ce qui est, ne s’est pas encore manifestée. Et donc Ils expliquèrent, montrèrent et démontrèrent la nature réelle de l’é volution : chacune de ses étapes ou chacun de ses stades sous l’égide d’un principe de conscience ; d’abord vint le principe de Vie, puis vint le principe du Mental, et chaque principe devait se développer à son maximum de possibilité à travers les espèces vivantes et particulièrement l’espèce humaine, avec l’aide et par l’agence de l’individualisation. L’homme est grand. L’homme est vil.

Telle est, pour ainsi dire, la structure opérationnelle, en ce qui concerne la réalité « objective ».

Et il y a un autre procédé ou processus, interne ou invisible, celui de la naissance, de la croissance et du développement de l’être le

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plus intérieur, qui est pure conscience – existence, amour et connaissance - ; au début, ce n’est qu’une étincelle, puis un minuscule diamant dans la ténèbre, inconnu dans les profonds espaces ignorés de nos cœurs ; lentement, au cours de nombreuses existences et d’innombrables associations, cela mûrit et se développe en une présence consciente capable de choisir, de guider et de servir. Cette présence au-dedans, Ils ont désignée comme l’ « être psychique », l’enfant de l’Un, qui doit servir le labeur de la transition à la prochaine étape et agir comme le pur agent de la nouvelle incarnation progressive. Et ceci est la première découverte, la clé centrale sans laquelle on ne peut même pas commencer de servir Auroville. Car en effet, qui en nous, quelle part de nous, peut même comprendre ce que c’est que d’être « le serviteur volontaire de la conscience divine » ?

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Jusqu’en Mai 1973, il était encore possible d’espérer pouv oir communiquer avec Elle, par l’intermédiaire de l’un de Ses secrétaires, ou même recevoir la grâce de s’agenouiller à Ses pieds le jour de son anniversaire. Et Elle pouvait encore essayer de parler de Son expérience de la vraie Conscience qui doit se manifester dans la Matière à quelques aides de confiance.

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Puis Sa porte se ferma à tous, sauf à Ses assistants immédiats et deux ou trois des plus anciens disciples.

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Les Auroviliens durent s’en remettre à la mesure de sens intérieur qui avait pu s’éveiller en eux et, si et qua nd ils en avaient le loisir, à Leurs enseignements écrits. Auroville naquit internationale, par-delà les frontières et les fossés culturels et tout individu choisissant de s’y joindre devait ainsi faire un grand progrès hors de ses propres conditionnements ; l’aventure d’Auroville immédiatement soulevait les problèmes et les questions qui confrontent les limitations de l’humanité, sans pitié dans son étendue comme dans ses exigences. Certains d’entre eux avaient eu des opportunités de Lui poser nombre de ces questions, questions pratiques aussi bien que psychologiques ; Ses réponses étaient toujours directes, sans ambages et profondément évidentes et Elle donnait Ses bénédictions à toute initiative de bonne volonté tournée vers l’avenir, un avenir d’harmonie consciente dans la Matière.

Sa sagesse était infaillible et s’appliquait dans tous les domaines.

Rien ne devait être négligé ; tout était important.

Toutefois, à de nombreuses reprises, Elle souligna l’absolue néces sité d’être véridique, d’aimer et de servir la Vérité en toutes

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choses et à tout moment, dans chaque mouvement et chaque situation ; Elle dit et écrivit que, sans le respect de cette condition, Sa protection serait empêchée ; Elle nota aussi que la nouvelle conscience au travail dans le monde insistait particulièrement sur cette pratique pour que s’ouvre la voie vers l’avenir. Plusieurs années auparavant, Elle avait déjà diffusé dans le monde ce message de Nouvelle Année : « Hommes, nations, continents, le choix est impératif : la vérité ou l’abîme. » De tant de manières Elle avertissait que le mensonge est notre pire ennemi et peut se dissimuler en chacun de nous, distillant son lent poison qui mine et compromet tout effort vers l’harmonie. Elle prévenait aussi que l’examen rigoureux de soi est indispensable et que nul n’a le droit d’imposer son point de vue comme exclusif, mais doit plutôt tenter d’intégrer tous les autres points de vue dans une approche pratique inclusive et progressive.

Elle donna plusieurs messages similaires, ainsi :

« Je ne peux travailler avec vous que si vous ne dîtes aucun mensonge et vous mettez au service de la Vérité. »

Le messa ge suivant est l’un des derniers écrits de Sa main, en anglais, ici traduit : « Auroville deviendra ce qu’elle doit être seulement si et quand ceux qui y vivent cesseront de mentir. »

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Elle, la Mère, Elle la Shakti, Se retira : le 17 Novembre 1973 à 19.25 h, Son cœur cessa de battre, à la minute même où le bétonnage des quatre piliers de Son temple au centre d’Auroville, le Matrimandir, s’achevait. Sa forme émaciée, une expression de concentration féroce sur son visage incliné, fut exposée à la vue de tous à peine quelques heures plus tard, jusqu’à ce qu’on la place dans un cercueil de bois de rose que l’on déposa juste au -dessus de celui de Sri Aurobindo, dans la cour centrale de l’Ashram, le matin du 20 Novembre, en silence.

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Quoi, maintenant ?

Presque 49 années se sont écoulées.

Alors que j’écris ces pages, mon ordinateur indique la date – 12.05.2022 – et Auroville vit depuis plusieurs mois déjà ce qui pourrait être sa crise la plus cruciale ; l’année est aussi marquée par le 150 ème anniversaire de la naissance de Sri Aurobindo, que le présent régime a u sommet du Gouvernement Central de l’Inde tient à célébrer de façon démonstrative comme une stimulation et un encouragement « spirituels » à son programme de renouveau identitaire et de développement. Jusqu’alors, le Gouvernement Central avait un rôle de protecteur, de garant et de bienfaiteur ; mais il a récemment montré son intention de s’approprier le « projet » et la détermination à le gérer selon ses critères et au moyen de sa propre machinerie. Probablement le fait que certains parmi nous ont non seulement activement accueilli, mais invité cette intervention, animés par la frustration prolongée face au manque d’une vison unifiée du développement extérieur d’Auroville et convaincus de leur bien fondé en servant ainsi sa matérialisation plus rapide, a-t-il acquis dans la communauté le caractère d’une trahison ; ceci a réactivé la vieille notion diviseuse de « eux et nous » (« si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous ») et, en conséquence, rendu tous les participants à la fois méfiants et décontenancés, inquiets et impatients, incertains et partisans, enclins à la surenchère ou au découragement et au doute. Et en effet, il y a bien là une double cause de détresse ou d’anxiété : d’un côté la lourde manœuvre de prise de pouvoir sur

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une expérience collective encore fragile et maladroite par un appareil extérieur aveugle, obéissant à des règles simplistes d’engagement et de conduite et, de l’autre, la consumation d’une profonde division dans notre compréhension ou perception du sens et de la r aison d’être d’Auroville. Et ceci serait une raison plus que suffisante et légitime d’appeler et d’invoquer dans nos paroles, nos pensées, nos sentiments et notre dévouement, l’inassaillible vérité d’Auroville. Certainement nous Lui avons tous, et chacun, failli, de tant de manières. Certainement nous avons, tous et chacun, tenté de La servir, de tant de manières. Presque à chaque fois que, dans le passé, nous avons suivi les conseils d’amis d’Auroville et nous sommes tournés vers l’aide du Gouvernement, qu’elle fut légale ou financière, nous avons peut être compromis davantage la destinée d’Auroville et son intégrité ; aujourd’hui, il semble que le temps est venu pour ce pouvoir de réclamer ses dus – et qui sommes-nous pour protester ? Nos écoles ont été financées par ce gouvernement, nos routes pavées et quelques-uns de nos édifices collectifs ont été subventionnés par son bon vouloir : nos forces restantes, en termes d’indépendance et d’autonomie, résident dans le fait qu’aucune des terres d’Auroville n’a été achetée ou acquise par le Gouvernement et que la majorité de nos résidences, de notre Qui peut en juger, qui peut l’ évaluer justement ?

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infrastructure et de nos unités productives ont été créées sans aucune aide de sa part.

Cependant, bien sûr, le Gouvernement Central a tous les pouvoirs et, puisque plus de la moitié d’entre nous sont d’origine « étrangère », nous ne sommes que tolérés sur le sol de l’Inde et n’avons aucun droit à la parole.

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Auroville a 54 ans.

Y vivent près de 3500 résidents et, quel que soit le jour de l’année, on y trouve beaucoup d’ autres milliers de personnes qui participent activement à sa vie quotidienne – employés et travailleurs, parents et amis, hôtes et visiteurs. Relativement peu nombreux aujourd’hui sont ceux qui se trouvaient parmi les premiers habitants : nombreux sont décédés, d’autres se sont éloignés , certains sont revenus, et d’autres ne sont pas encore rentrés. Les enfants qui naquirent dans les premières années sont à leur tour devenus parents et grands-parents. Plus de 50 nationalités sont à présent représentées, la moitié de la population étant d’origine indienne et plus de sa moitié issue des villages voisins.

Chaque année passée a apporté son lot de nouveaux arrivants, avec leurs traits particuliers, leur compréhension et leur bagage.

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Comme aucune hiérarchie n’a pu être établie, et aucune source centrale d’autorité ni aucune forme convaincante de gouvernance n’ont été identifiées – jusqu’à présent - , l’entière collectivité a dû ainsi constamment s’adapter, se reconfigurer et tenter sans cesse d’ absorber et d’intégrer les nouveaux imports – visons du monde, habitudes, techniques acquises ou apprises, espoirs et attentes – transportées par chacun de ces nouveaux-venus, tout en essayant de maintenir, soutenir et laisser croître une dynamique de progrès conscient vers une existence plus vraie sur la Terre.

Et aujourd’hui, au nom justement de « développement », la menace est vive que tout y soit nivelé à l’image de quelque modèle extérieur factice et vide de sens.

Et chacun de nous s’interroge : comment en sommes-nous arrivés là, comment sommes-nous devenus si faibles, confus et vulnérables ?

Nul n’a jamais dit q ue ce serait tout facile et ensoleillé !

Elle nous a tous avertis : le chemin sera parfois âpre et ardu, et pourra prendre de nombreuses années, mais Auroville SERA… !

Pourtant le doute demeure : avons-nous, par le biais de nos propres échecs et insuffisances, perdu notre ancrage et dérivé hors de Sa protection ?

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Car il ne s’agit pas seulement de cette petite bande de spécimens humains privilégiés, chacun porteur de ses fardeaux personnels et de son unique complexité, essayant de devenir réceptifs à une nouvelle conscience et un nouvel ordre de manifestation ; il s’agit d’une proportion, si infime soit -elle, de cette humanité vivante, se tournant volontairement vers le futur véritable de la Terre avec une aspiration et un don de soi authentiques, afin de pouvoir être changée et devenir assez responsive pour que l’être nouveau puisse commencer de s’incarner. Nous ne sommes pas ici pour notre propre réalisation personnelle, mais comme serviteurs offrant leur condition et leur substance humaines à la Force et la Lumière de la Conscience qui œuvrent partout à ouvrir la voie, dans la Matière, à un équilibre durablement harmonieux et progressif. L’avons -nous donc négligé, obscurci ? L’avons -nous, absorbés par le courant continu des préoccupations et des soucis quotidiens, des incidents divers et des multiples défis de la vie, laissé se voiler et s’assoupir ? Toute collectivité sera traversée, énergisée, et occupée par des tensions majeures entre d’apparents opposés, d’apparemment irréconciliables points de vue, des besoins et des élans apparemment incompatibles et des interprétations divergentes ou dépareillées des objectifs communs ; Elle et Lui nous ont montré où se trouvent les outils de conscience pour construire une harmonie croissante – et ces outils sont au-dedans de nous. Tel est notre « dharma », la loi de notre existence.

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Par conséquent, nous n’avons guère d’excuses pour être ainsi tardifs et encore moins pour nous gratifier de nos postures divisives. Nous ne pouvons en rendre responsables ni un système politique ou social, ni l’étroitesse de quelque doctrine , nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous. Bien sûr nous avons vécu de nombreuses vagues d’assaut et la marée de pollution s’est infiltrée , causant bien des dommages, qui n’étaient ni ne sont issu es de notre champ collectif de progrès et d’expérience ; la croissance monstrueuse de la consommation aveugle et du profit sans scrupules partout dans ce monde n’est que l’une des sources d’érosion, de gaspillage et de perte d es normes éthiques qui sévissent sur la Terre à ce jour ; et quoique nous ayons pu collectivement accomplir comme exemple de progrès intégral et d’un mode d’existence physique mieux équilibré, se trouve rapidement assiégé et contaminé par la montée des convoitises et la promotion d’un m odèle avide et grossier de développement. Néanmoins, n’avons -nous pas manqué de sagesse pratique et de simple prévoyance, n’avons -nous pas favorisé notre confort plutôt que de contribuer plus activement à un avenir plus harmonieux pour tous nos voisins, par exemple ?

Elle, la Mère, ne donnait jamais d’ordres, à moins d’être assurée de la capacité, l’aptitude et la réceptivité requises pour les suivre.

Quand l’occasion Lui en était donnée, Elle disait comment Elle souhaitait que telle ou telle chose soit faite ou se produise, mais Elle n’insistait pas lorsque la réponse n’était pas spontanée ou

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entière ou lorsqu’Elle voyait que d’autres formations voulai ent s’affirmer ; alors Elle donnait simplement Ses bénédictions – avec cette clause cruciale : Ses bénédictions étaient toujours et invariablement pour la réalisation de la possibilité la plus vraie, la plus fidèle à la vérité, quelle qu’elle soit et si lo intaine soit-elle. Nous tendons si fréquemment à nous conduire comme des garnements orphelins affublés d’œillères : nous avons Leur immense connaissance à notre disposition, nous avons accès à Leur Conscience-Force, nous jouissons de Leur sollicitude et de l’absolue clarté de Leur vision et pourtant, que faisons -nous si souvent ? Nous nous saisissons sur une étagère de l’une ou l’autre de Leurs paroles, les découpant comme des projectiles, protestant de toute notre vertueuse indignation contre l’ignorance de l’autre. Mais nous oublions que notre terrain de jeux est sacré : Auroville est sacrée, dans le sens qu’Elle, la Shakti, l’a offerte et dédiée au « Seigneur Suprême » - comme Elle nommait Cela qui ne peut être nommé, pourtant notre source unique et notre seul but véritable – et par conséquent, Auroville appartient au Divin, et aucune puissance moindre ne peut la réclamer ni s’en emparer, comme il nous incombe de ne pas la mésuser, mais de la servir toujours plus et toujours mieux.

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Aujourd’hui, nous pouvons clairement la voir, cette créature hybride gigantesque, mal assemblée et sans grâce, accroupie sur

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la Terre, jubilante et grondant avec son ancienne malice : « tous, vous allez venir sous mon seul contrôle, ou serez détruits… ! » Et de sa position, Auroville n’est ni appréciée, ni bienvenue – nous avons donc eu notre part d’adversité, du dehors comme du dedans.

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Elle, la Mère, a conçu Auroville de telle manière que certaines propriétés y sont intégrées et qu’elle vibre, si l’on peut di re, à des fréquences uniques, un peu comme un appareil récepteur et amplificateur à la fois dans l’atmosphère de la Terre : nos actes peuvent ne pas être particulièrement héroïques, nos produits peuvent ne pas être sublimes, mais pourtant chacun d’eux port e cette unique vibration qui est directement connectée à la Force de la conscience nouvelle et, ainsi, nous avons une plus grande responsabilité et plus grande est sur nous l’exigence de pureté, d’intégrité et de réceptivité.

N’oublions jamais qu’Aurovill e est une aventure : c’est pour essayer, pour tenter, pour expérimenter, pour avancer dans l’inconnu, vers un avenir qui soit digne enfin et vaille toutes les peines, les agonies, les découvertes et les labeurs de l’évolution .

Qui que nous soyons et tels que nous sommes à cet instant, nous sommes l’humanité qui cherche sa plénitude et son unité d’existence.

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Tenons- bon, quoiqu’il arrive, tenons -bon quand le navire tangue, tenons-bon même quand tout semble se défaire, tenons-bon - dans la réalité même de notre foi et de notre persévérance sont notre pouvoir de progrès et notre fidélité en Sa victoire.

Et puisque la raison d’être centrale d’Auroville est de former et d’établir l’environnement requis pour le berceau de l’espèce nouvelle, nous savons ce que nous devons réaliser tous ensemble : un milieu vivant de paix solide et d’harmonie responsive et toujours plus réceptive aux besoins de l’être nouveau.

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Fraternellement,

Divakar – Auroville – le 14 Mai 2022 -.

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