Questions et méditations

Questions et méditations

- Divakar -

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Préambule

La Terre est l’enjeu.

L’évolution est en phase d’accélération.

L’humanité doit s’éveiller, ou périr.

Si de nombreuses voix éclaircies s’élèvent dans tous les pays et toutes les langues de ce monde, enjoignant les gouvernements de redresser la barre quand il est encore temps, les monopoles, consortiums et groupes financiers accentuent d’autant leurs pressions intéressées. Quelles sont donc les forces qui détiennent réellement le pouvoir, de quel pouvoir s’agit-il, où est son siège et n’y a-t-il donc aucune puissance salvatrice à l’œuvre dans cet univers ? Ou s’agit-il encore et toujours de la même immémoriale bataille entre le Mal et le Bien, l’Adversaire et le Divin ? Ou bien encore, de telles perceptions sont-elles issues de notre état de conscience, de notre subjectivité ? N’est-il pas toutefois indubitable que deux sortes de forces, d’actions et de courants bien distinctes sont engagées dans nos consciences ? Il nous faut tous choisir MAINTENANT entre ces forces qui nous possèdent par notre obscur aveuglement et ces forces qui agissent pour le Bien véritable. Choisir entre ces forces qui cherchent à détruire le milieu-même d’une évolution continûment progressive, et ces forces qui travaillent à établir un éveil concret et définitif dans les consciences.

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L’idéal vers lequel nous devons activement et entièrement nous diriger, est celui d’une humanité éclairée, pacifiée, éprise d’harmonie, qui puisse accepter et accueillir l’apparition d’êtres transitoires apprenant à opérer dans le monde matériel selon un Principe d’Unité et une conscience directe et souveraine.

Car l’humanité doit, et peut, collaborer.

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A l’échelle des peuples et des nations, les mesures à prendre sont connues, et désormais évidentes.

Mettre un terme à la croissance et l’expansion des grandes villes et redistribuer l’infrastructure nécessaire dans les campagnes, les villages et les bourgades, en encourageant les initiatives locales.

Mettre un terme à l’industrie d’élevage alimentaire et convertir ses capacités.

Mettre un terme à l’industrie d’armement et convertir ses capacités.

Mettre un terme à l’industrie des engrais et pesticides chimiques et convertir ses capacités.

Mettre un terme à l’exploitation nuisible des matières fossiles, comme à celle de toute matière première outrancière – qui dégradent l’environnement. Mieux soutenir et mieux accompagner les recherches scientifiques, en libérant les nombreux brevets occultés par les groupes d’intérêts et en tournant les progrès vers la réalisation d’une harmonie matérielle pour tous.

Cesser de nous reproduire aveuglément.

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Susciter et encourager une économie responsable, où chacun apprend à donner et à recevoir dans le respect de l’unité de tout ce qui est.

Réhabiliter la dignité de tout travail.

S’orienter vers un accord social qui assurerait un revenu universel minimal.

Soutenir et promouvoir le libre accès aux connaissances pratiques et au savoir-faire dans toutes les langues courantes, permettant à tous d’acquérir une autonomie concrète et créative.

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Cependant, un autre spectre virulent doit également être affronté, compris et intégré dans le mouvement d’éveil de l’humanité = celui du fanatisme. Le fanatisme identitaire et le fanatisme religieux, exclusivismes exacerbés, doivent être amadoués et leurs causes reconnues, afin d’une part que ces forces qui se nourrissent de leurs excès de violence sanctifiée se désistent et d’autre part qu’un sentiment de communauté puisse nouvellement circuler dans leurs nombres. Tout fanatisme est le signe d’un état primaire de développement individuel et collectif ; aucune individualité intérieurement développée, ni aucune société cultivant des valeurs universelles n’entretiendront aucune forme de fanatisme. Mais le monde contemporain est un grand chaos de valeurs et de directions et, pour tous ceux qui n’ont pas encore trouvé leur boussole intérieure, le besoin d’une structure et d’un code de conduite est impératif.

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Les grandes religions : pourquoi sont-elles grandes, comment ont-elles pu générer autant d’adhésion ?

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Parce qu’elles offrent chacune l’avantage de structurer l’existence individuelle depuis le berceau jusqu’à la tombe en la pourvoyant d’un sens, d’une appartenance, d’une direction et d’un ensemble de valeurs immuables. Selon le but déclaré de telle ou telle religion, ses préceptes et ses exemples, l’individu peut dériver les indications nécessaires à la pratique quotidienne et au comportement. Toutefois, aucune de ces grandes religions ne prône la recherche de la perfection sur cette Terre : chacune se contente de proposer une voie de salut et de rédemption ou de libération. Aucune ne se soucie d’une création durable et de plus en plus consciente et harmonieuse dans ce monde matériel, bien qu’elles conseillent toutes d’observer une conduite aussi noble et irréprochable que possible lors de ce séjour temporaire. Pourtant, entre toutes ces religions terrestres, celle qui est dénommée « hindouisme », est potentiellement la plus vaste et la plus ouverte à l’avenir spirituel de l’humanité, car elle a ses racines et ses origines dans un infini réservoir d’expérience intérieure directe selon laquelle « Tout est Cela », « Rien n’existe autre que Cela » et cet univers matériel doit devenir l’habitation du Suprême : il nous faut donc y travailler et nous y donner… L’une des conséquences de l’infinité de cette source est que toute expérience spirituelle authentique est acceptée, toute relation au Divin est respectée.

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Quant à l’athée, l’agnostique, le sans-foi, il est obligé de réfléchir, de s’interroger, de chercher à discerner les valeurs, qualités, vertus et facultés qui constituent l’essence de l’humain, sont les garantes de son intégrité et lui offrent le levier de son progrès ainsi qu’une morale de conduite qui tienne la route et l’aide à répondre aux circonstances de ce monde où il se

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trouve arrimé – et ceci sans jamais avoir recours à une réalité supérieure quelconque.

Mais en fait et en pratique, bien rares aujourd’hui sont les individus réellement croyants ou réellement incroyants, car tous bientôt se heurtent aux limites et contradictions de tout dogme comme de tout positionnement.

Et, tous ensemble, réunis sur ce seul vaisseau, semblons nous précipiter vers l’anéantissement – de notre existence humaine en tout cas.

Comment hâter le réveil – ou l’éveil effectif, effectif de part en part, de notre condition si ambivalente et précaire ?

Et pouvons-nous même nous éveiller ? Ne serons-nous pas terrifiés ?

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Car telle est la contradiction de notre état : avec ce que nous pourvoient les plans et les énergies de la vie et du mental, nous avons tenté d’occuper le vide de l’absence, qui est la conséquence de notre séparation. Ayant à notre disposition la faculté de l’imagination, nous ne cessons de peupler les temps futurs d’une multitude d’artifices toujours plus sophistiqués et performants servant des personnages et des sociétés de plus en plus puissants, oscillant du bien au mal et du pire au meilleur, ces avances se reflétant dans le présent par les applications technologiques que nous choisissons de faire de nos découvertes scientifiques – et ces choix nous trahissent. Car presque jamais nous n’imaginons, ni ne le pouvons, ce que serait une existence véritable – pleine, vibrante de Présence et indépendante de tout apport extérieur.

Pourtant, lorsque l’un d’entre les humains, quelque part ici sur cette Terre unique, parvient à faire un usage offert et orienté de cette faculté

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d’imagination et l’exerce comme un canal et un appel, quelque chose de cette Réalité qui nous manque, quelque expression de sa présence, de sa force, de son harmonie se glisse dans notre milieu collectif ambiant et y travaille à semer, propager et répandre un peu de conscience vraie. Nous sommes encore l’homme des cavernes : ces immenses cavernes où de minuscules habitants gesticulent et s’égosillent et s’angoissent et s’enivrent dans leurs tentatives incessantes de pallier à l’absence, au manque, au vide résonnant, couvrant les parois d’objets absorbants, fabriquant davantage d’outils et de subterfuges et s’occupant autant que se peut – afin de ne plus subir la morsure de cette béance.

Pouvons-nous imaginer la royauté de la conscience véritable ? Non, nous ne le pouvons pas – cela ne peut être connu que par identité.

Mais parfois, comme par accident, l’on en éprouve un aperçu et l’on sait, l’on comprend = que Cela Est.

Alors, que faire ?

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Néanmoins, nous ne sommes pas démunis d’offrandes lorsque nous venons devant la vraie conscience. Car à travers tout, nous avons développé ce qui peut demeurer et grandir au sein et sous la garde d’une Conscience Une : notre culture, ou cultivation multitudinaire de notre relation au Divin – à la Vérité, à la Perfection, à la Beauté, à l’Harmonie, à la Justice, à la Bonté, à tout ce qui nous tire à la hauteur de ce que nous sommes vraiment. Depuis notre condition humaine de contraintes, de besoins et de nécessités, s’est bâti en nous ce trésor que rien ne peut détruire et que l’avenir fera s’épanouir.

Il nous faut choisir.

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Le danger est là.

Car nous sommes en train de nous soumettre à un monde virtuel qui, bien qu’il nous semble être le fruit magique de notre capacité de survie, dont les combinaisons, extensions et mutations sont probablement infinies, nous parasite de plus en plus constamment et nous dépossède de notre flamme d’aspiration et d’appel. Il nous faut secouer cette hypnose et appeler, appeler, appeler, là où nous sommes, comme le souffle, comme l’eau, comme la nourriture, appeler ce Bien véritable qui peut tout mettre à sa place, tout apaiser, tout concilier, tout changer.

Appeler, est-ce agir ?

Peut-on se contenter d’appeler, individuellement ou en groupes ?

L’appel est indispensable, ne serait-ce que parce que nous ne savons pas comment réellement résoudre les impasses dans lesquelles s’est engagée l’humanité et parce que toutes les « solutions » que nous serions capables d’envisager ne seraient inévitablement que partielles et fragmentées. Mais l’appel seul est comme un cri muet : il faut l’associer à une démarche, à une action, tout en sachant que cette démarche et cette action sont forcément insuffisantes, sinon dérisoires, il faut tout de même donner corps à ce cri, le faire circuler, qu’il résonne et monte et flambe et atteigne – et nous apprenne à nous ouvrir et à recevoir. Alors, les mouvements citoyens, les actions ponctuelles, les protestations, les témoignages, les travaux réparateurs, les innovations bénéfiques, toute action peut s’associer à l’appel, y puiser de la force et lui donner du corps. Agir sans attachement, avec toute la conviction et l’engagement nécessaires, mais sans jamais s’y réduire, telle est la responsabilité que chacun d’entre nous doit respecter.

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Car il faut se mettre dans le courant transformateur et le laisser passer, le laisser œuvrer.

Cette Conscience peut.

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Retirons-nous du drame, la Conscience est Une et, lorsque nous Lui ouvrons les portes de notre état le plus matériel, celui de notre corps, la circulation de la Force peut révéler les opérations nécessaires à l’avènement d’un progrès terrestre harmonieux ininterrompu.

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AUM NAMO BHAGAVATE

AUM = invoquer Cela Qui Est,

Cela qui est Conscience, Existence et Joie,

Cela qui est Plénitude et Liberté,

Cela qui ne dépend de rien autre que de Soi – de la Source Infinie, éternelle, illimitée…

NAMO = l’on offre à Cela

Tout ce que l’on est ; tout ce que l’on a,

Tout ce que l’on peut et pourra jamais,

Tout ce que l’on espère,

Sans réserve ni calcul ni impatience…

BHAGAVATE = l’on se tourne vers cet Avenir

Qui peut se manifester, qui veut se manifester,

Qui se manifestera…

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Ce qui suit est une série de questionnements et de méditations ou contemplations, autour de sujets qui nous concernent tous, afin de mieux saisir le rôle et la place de la contradiction et de l’adversité qui ont fait de notre espèce une malédiction pour la nature terrestre et de s’unir plus consciemment à Cela qui peut nous ouvrir le chemin d’une Harmonie durable et féconde.

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Aux pieds de la Douce Mère

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-1- Le rôle de l’horreur

Un jour de 1966, Mère fit la réflexion que … « nous savons que les forces adverses sont pour ainsi dire autorisées à travailler – justement par le sentiment de l’horreur -, pour hâter l’éveil de la conscience… » « Je sais maintenant, je me souviens, toute cette expérience est venue après avoir vu un livre qui a été publié dans l'Inde tout récemment, en anglais, et qu'ils ont appelé The Roll of Honour, où il y a la photo et une petite biographie de tous ceux qui sont morts dans la lutte contre les Anglais, pour la liberté de l'Inde. Il y avait des photos partout, beaucoup de photographies (certaines étaient seulement la photographie que la police avait prise quand ils venaient d'être tués et qu'ils étaient allongés par terre), et tout cela a apporté une certaine atmosphère: l'atmosphère de ces bonnes volontés désintéressées qui rencontrent un destin tragique. Cela m'a fait un effet analogue à l'effet produit par les photographies sur les horreurs des Allemands pendant la guerre là-bas. Il est évident que ces choses sont directement sous l'influence de certaines forces adverses, mais nous savons que les forces adverses sont pour ainsi dire autorisées à travailler – justement par le sentiment de l'horreur –, pour hâter l'éveil de la conscience. Et alors, cette expérience-là, qui a été très forte, qui ressemblait beaucoup à celle que j'ai eue quand j'ai vu les photographies des atrocités allemandes en France, m'a mise en rapport avec la vision de l'erreur humaine, terrestre, moderne (c'est moderne: ça a commencé depuis ces derniers mille ans et ça devient de plus en plus aigu dans la dernière centaine d'années), avec l'aspiration pour contrebalancer cela: comment faire?... quoi faire?... Et la réponse: «C'est pour cela que tu as créé Auroville.» C'est une perception des forces – des forces qui agissent directement dans les événements, les événements matériels, qui sont... illusoires et mensongers; par exemple, l'homme qui a lutté pour la liberté de son pays, qui vient d'être assassiné là parce que c'est un révolté, et qui a l'air d'un vaincu, couché sur le parapet de la route: c'est lui, le victorieux. C'est cela, ça montre bien le genre de relation entre la vérité et l'expression. Alors, si l'on entre dans cette conscience où l'on perçoit le jeu des forces et que l'on voie le monde comme cela, c'est très intéressant; et c'est comme cela, quand j'étais dans cet état-là, qu'il m'a été dit, montré clairement (c'est inexprimable parce que ce n'est pas avec des mots, mais ce sont des faits): «C'est pour cela que tu as créé Auroville...» C'est la même chose que pour cette photo 1 . Voilà, tu gardes ça. » (Extrait de l’Agenda de Mère, enregistré par Satprem et Sujata)

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L’horreur…

Le sentiment que l’on éprouve lorsque l’on est confronté à la manifestation de volontés, d’intentions et de motivations qui semblent contraires au sens même de notre humanité, le trahissent, le bafouent, le menacent et lui portent atteinte… Ce sentiment que l’on ressent devant la torture infligée aux braves, aux héros, aux révoltés, devant l’assassinat de ceux qui ont le courage de garder la dignité d’être humain…

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Devant l’entreprise d’anéantissement méthodique, délibérée, organisée, de tous ceux qui ne satisfont pas les normes établies par une majorité locale…

Devant le déploiement et l’exécution planifiés, détaillés, raffinés, légitimés de l’abomination…

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Les visages et les actes et les conduites qui inspirent cette horreur, qui provoquent ce sentiment d’horreur, qui l’induisent comme une alarme massive, un rappel glaçant, un terrible constat de notre condition, jalonnent le temps et l’espace – aujourd’hui même nous devons y faire face, y répondre = comment… ?

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… « Nous savons… »

Qui est ce « nous » ?

Mère et Sri Aurobindo et leurs disciples et enfants sur Leur chemin de Yoga pour la Terre ?

Tous ceux qui sont conscients de l’Un, du Réel, du Suprême ?

Ou bien même, nous tous, les irréductibles humains, ceux qui ne céderont pas, même sous les sévices les plus suppliciants ou les tentations les plus ingénieuses et convaincantes, leur appartenance à l’Humain… ?

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N’est-il pas souvent dit que tout être humain a son prix ?

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Dans le langage de l’adversité, rares, très rares sont ceux qui ne peuvent être achetés = n’est-ce pas là le constat qui nous défie à ce jour, qui questionne notre intégrité, où que nous existions sur cette Terre ? N’a-t-il pas été amplement et concrètement démontré que le développement le plus intensif, le plus complet, le plus perfectionné de notre nature instrumentale, ne constitue aucune garantie de réelle humanité ? Qu’un projet monstrueux peut se former et prendre essor dans la culture même de l’excellence ?

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Nous ne sommes pas même les maîtres de nos domaines individuels : comment pourrions-nous être responsables de toutes leurs parts ? Comment aucun d’entre nous pourrait-il affirmer et promettre ne jamais fléchir, ne jamais se rendre, ne jamais capituler ?

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Quiconque a eu, le moment venu, l’expérience de naître à l’esprit, d’être re- né, voudrait pouvoir la partager, car il semble alors qu’un très simple mouvement suffise – et pourtant combien de vies et d’épreuves a-t-il fallu pour parvenir à ce seul, parfaitement simple, déplacement … de la conscience… ? La conscience si longtemps emprisonnée, réduite, hypnotisée, qui soudain se trouve libérée, se retrouve libre dans le milieu véritable, la Vie infinie… Cela ne prend pas de temps : la conscience désentravée, délestée - oui, après coup, c’est ce que l’on constate, lorsque l’on a dû revenir, à la fois pareil et ineffablement changé.

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C’est l’identification qui nous enferre.

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Nous sommes attachés, nous souffrons, nous désirons, nous désespérons – parce que nous sommes identifiés. Identifiés à la personnalité instrumentale, à ce petit amalgame provisoire qui est « moi », ce passé, cette histoire, ces atouts, ces lacunes, cette complexité, ces possibilités, ce voyage – et ce corps = plus l’on s’approche du corps et plus l’identification se resserre. Notre être vital le plus matériel, notre être nerveux, est un étroit cordon d’énergie autant qu’une enveloppe dont le corps-même a constamment besoin pour persister dans sa forme et son organisme. Pour recouvrer l’intégrité de la vraie conscience tout en demeurant incarné, il faut trancher ce lien, ou le dissoudre, ou le maîtriser : c’est ainsi que les anciennes disciplines initiatiques comportaient toujours une épreuve centrale, l’épreuve la plus critique et déterminante, celle de la mort physique. Ressortir lucide et libéré de cette expérience radicale était la condition pour affronter d’autres dangers, pour servir la vérité, pour tenir le flambeau de la conscience dans ce monde comme dans les autres.

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Sous l’effet d’une terreur envahissante, ou d’un désir intense, ou d’un plaisir extrême, ou d’une douleur aigüe, l’identification se resserre encore jusqu’à devenir exclusive – absolue.

Il semble alors qu’il soit devenu impossible de s’en extraire ou de s’en abstraire.

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Ainsi, comment la résistance à la souffrance infligée pourrait-elle, seule, indiquer la mesure de l’intégrité ? Il faut qu’une action transformatrice effective ait d’abord uni chaque part instrumentale à la source consciente.

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Cependant, même si l’on a tenu la charge, l’adversité détient encore une arme ultime pour nous obliger à succomber = celle de l’atrocité qui pourrait être commise sur ceux que l’on aime, si l’on ne se rend pas. Quelles sont les conséquences – karmiques – de tenir malgré tout, s’en remettant à une force plus haute, ou d’abdiquer pour la sauvegarde d’autrui ?

Où circuleront le poids et l’ombre de la responsabilité ?

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« …Pour hâter l’éveil de la conscience… »

La conscience collective, la conscience de, ou dans, l’humanité ?

La conscience de chaque être humain, avec la reconnaissance de sa part de responsabilité, justement, de sa connivence avec l’adversité ?

La conscience dans toutes ses formes et ses manifestations, se dégageant, s’éveillant, se retrouvant… ?

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Lors de la montée au pouvoir du nazisme, avec son but de suprématie raciale, c’était le Seigneur du Mensonge, l’entité qui se fit appeler le

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Seigneur des Nations, qui inspirait le pantin moustachu et le plaçait aux rênes apparentes, lui dictant ses paroles et ses actes, l’enivrant de visions de puissance. La nourriture qu’il servait était recherchée = mysticisme, idéal, grandeur de la civilisation pure, prospérité organisée, glorieux avenir… Par la vertu d’une discipline collective exemplaire, un grand nettoyage devait s’accomplir, de grandes leçons seraient apprises et conquises les clés d’un développement mesuré, impeccable, irrésistible, de la race supérieure.

Un surhomme sans amour, un surhomme triomphalement séparé de la grande unité, un surhomme dépourvu de vérité.

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Car ce seigneur voulait avant tout assurer son emprise sur la Terre – le site de l’évolution. Lorsque ses instruments rencontrèrent une résistance intraitable dans l’humanité et ses visées furent déjouées par le glaive d’une Lumière qu’il reconnaissait, il dut se retirer – mais s’engagea à prendre revanche.

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De telles entités ne souhaitent pas s’incarner ici dans ce monde terrestre matériel, mais seulement s’en alimenter indéfiniment, l’influencer, le dominer, le garder séparé et à leur merci et, pour ce faire, l’empêcher d’évoluer vers sa propre unique réalisation de l’Un, du Divin, du Suprême manifeste. Elles ont leur siège principalement dans l’un ou l’autre des mondes du Vital, mais opèrent également dans des domaines du Mental et ont parfois

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un accès inné, par une sorte de droit ou de privilège originel, aux plans du Surmental. Car dans ce monde-ci, dans cette condition physique et matérielle que nous croyons être la seule qui existe, sur cette Terre où nous séjournons dans ces corps vulnérables et mortels, la concrétisation est irréversible : ce qui est fait ne peut être défait, l’on ne peut revenir en arrière, deux objets ne peuvent occuper un même espace, toute expérience est directe, précise et génère des conséquences sensibles dans une complexité interactive incommensurable et chaque être humain est obligé d’apprendre à choisir à chaque instant. Tandis que les autres mondes offrent des degrés divers de flexibilité, de créativité instantanée, de simultanéités presque infinies, notre monde matériel est inflexible dans son exactitude comme dans ses lois.

Mais il détient une Grâce que nul autre monde ne possède.

C’est le Secret de l’évolution terrestre, ce secret auquel nulle part ailleurs l’on ne peut accéder, celui de cette Grâce créative réciproque – à deux tenants = du côté de l’être humain, c’est la dignité de créature consciente et, du côté de Cela Qui Est, du Fondement de Tout, c’est l’Amour.

Et par cette Grâce, la conscience progresse.

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Mais où est la dignité de ceux qui exploitent sans égards ni respect, qui pillent et qui violent ?

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Cette Nature terrestre qui nous a tout donné, son sang, son lait et ses œufs, ses fruits, ses fibres et ses grains, ses sucs, ses sèves et son eau de

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vigueur, ses pierres, ses minéraux et ses ors et sa beauté infinie – que lui avons-nous rendu ? Cette possibilité inouïe de co-création ; de solidarité, d’évolution consciente et partagée, qu’en avons-nous fait ?

Nous l’avons éventrée, saccagée, épuisée, empoisonnée, nous l’avons étouffée de nos pratiques et de nos objets inertes et séparés…

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La vengeance de l’ombre n’est-elle pas de toutes parts étalée, démontrée ?

La possibilité-même de continuité n’est-elle pas compromise ?

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2 Les nouveaux prédateurs

A peine cette Seconde Guerre mondiale s’était-elle achevée, que d’autres foyers de conflit dévastateur s’enflammaient sur tous les continents = massacres, partitions, guerres interreligieuses, fratricides et génocides, essaimèrent comme une virulence tandis que l’humanité se mettait à proliférer sauvagement et inexplicablement. Les puissances colonisatrices affaiblies, face à la résilience indomptable de ces peuples qu’elles avaient cru conquérir avec leurs valeurs civilisatrices prétendues supérieures, durent renoncer à leurs empires mal-acquis et se retirèrent, non sans imprimer leurs marques et leurs signatures dans les terres et les sangs – règles, lois et morales inculquées, et frontières arbitraires pour départager l’accès aux richesses. Un nouvel ordre mondial cherchait à s’imposer, les plus riches et les mieux équipés endossant le rôle de gendarmes – intéressés – et rivalisant d’ingéniosité pour, par le truchement de nations moindres ou dépendantes, consolider leur mainmise respective sur les matières premières indispensables à leur entretien et leur développement. C’est en temps de guerre que les recherches scientifiques sont le mieux financées, avec pour mission de découvrir et de parfaire de nouveaux moyens d’augmenter les capacités d’autonomie et de survie d’une part et, d’autre part, la puissance d’attaque et de destruction de la nation concernée. Ainsi, le perfectionnement du pouvoir de neutraliser et de nuire progressa spectaculairement, tout comme celui de communiquer secrètement. Mais en temps de paix, la manufacture et l’industrie de toutes les sortes d’armes et d’inventions nouvelles, toujours plus sophistiquées, coûte cher : *

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il faut donc les rentabiliser, en vendant au plus offrant (ou au plus méritant selon les discours).

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Avec l’essor d’une multitude de jeunes nations, le formidable bond démographique et l’immédiateté croissante des technologies de communication, la morale de l’exploitation et du profit se changea en loi et en mode de conduite ordinaires – partagés par le plus grand nombre –, et en un principe d’existence et un langage communs à toutes les sociétés du monde contemporain, flouant toutes les sagesses. Et toutes sortes de prédateurs se formèrent sur un terrain de plus en plus fertile en opportunités. L’observation soutenue des comportements et leur évaluation en termes de potentiel d’enrichissement prit une importance cruciale dans la création de biens et d’outils et de leurs marchés. La poursuite du bonheur pour chacun, une proposition déjà ignorante, réductrice et trompeuse, se dégrada graduellement, mais rapidement, en poursuite du bien-être matériel : de l’acquisition par chacun des composantes matérielles d’une image projetée mondialement et sans relâche.

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Nous savons à présent que cette réalité physique que nous appréhendons par nos sens, n’est qu’un degré, ou palier, ou état, d’une réalité matérielle infiniment plus complexe.

Plus nous apprenons de la Matière et de ses conditions et plus, paradoxalement, son mystère s’étend et s’approfondit.

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A mesure que s’affinent nos instruments et nos méthodes d’observation et d’intervention et que nous devenons capables d’apprécier d’autres lois et d’autres conduites sous-jacentes – ou imperceptibles pour nos sens -, nous sommes tentés d’en faire usage, d’en tirer quelque avantage pour améliorer notre lot.

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C’est le motif de la quête qui détermine la connaissance que l’on acquerra.

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Il semble évident que, si l’on s’introduit dans cette multiple réalité matérielle avec l’intention d’en extraire les moyens de créer l’arme parfaite, ou si l’on aborde et explore cette même réalité multidimensionnelle avec l’aspiration et le besoin d’y discerner les moyens de servir ou d’établir une harmonie terrestre progressive, les observations et constatations que l’on aura faites en chemin ne seront pas les mêmes. Et pourtant l’on ne peut détruire sans avoir identifié les lois qui régissent la cohésion, comme l’on ne peut construire sans avoir saisi les lois qui régissent la désintégration.

Et là réside l’ambigüité de toute science.

Una ambiguïté qui implique nécessairement la responsabilité de tout chercheur et de tout découvreur.

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Les trois degrés du Yoga de la Terre :

- Servir le bien durable de l’humanité toute entière.

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- Servir l’avènement d’une humanité éclairée, convertie à la Vérité, comme garante de l’équilibre progressif de la Nature terrestre toute entière.

- Servir le Suprême dans Sa manifestation.

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3 Malfaisance

Les rivières et les océans sont devenus nos dépotoirs.

Où est l’horreur ?

Où est l’éveil ?

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Cette année, 2018, durant le mois d’Août au Kerala, l’Etat qui se situe le plus au Sud de la péninsule Indienne, se sont produites des inondations sans précédent – considérablement aggravées par le « facteur humain » : constructions sauvages le long et au bord des cours d’eau et des réservoirs naturels, gestion défectueuse des barrages, engorgement des voies d’écoulement. Les tonnes et les tonnes de déchets accumulés, entassés au fond des rivières, des canaux, des bassins et étangs – et des caniveaux – ont été soulevés et charriées en tous sens, se mêlant à la terre écroulée, aux arbres déracinés, aux bâtiments effondrés et aux véhicules et machines emportés.

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Aux Etats-Unis, au Canada, en Nouvelle-Zélande les forêts continuent de brûler.

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Quelle est la source, ou la cause de cet aveuglement collectif ?

Comment sommes-nous parvenus à cet état de monstruosité, comment sommes-nous devenus ces créatures nuisibles qui pullulent sur toute la Terre et vicient son atmosphère et dévorent et parasitent et dénaturent son organisme tout entier ?

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Un être humain et un cheval, un loup, un dauphin, un arbre, un jardin, peuvent apprendre à se reconnaître, à se respecter, à s’aimer et à grandir l’un par l’autre, l’un avec l’autre, l’un de l’autre. Nous disons – selon ces expériences que nous qualifions de « spirituelles » - que l’amour véritable est inconditionnel. Mais l’amour est la condition suprême, l’amour est suprêmement intolérant, puisque rien d‘autre n’existe autant que l’amour.

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Cependant l’humanité a plutôt appris à dominer, dompter, asservir et domestiquer ces espèces qu’elle juge inférieures mais dont elle peut tirer quelque avantage. Et ce faisant, même le troupeau et le berger peuvent apprendre à se reconnaître et à s’apprécier mutuellement. L’instinct de maîtrise inhérent à l’humanité, par lequel l’homme cherche constamment à dominer son environnement, n’est-il pas l’expression d’une intention de la Nature dans son élan et sa course évolutionnaires ? Mais cet instinct, pour accomplir son but et sa fonction, doit s’unir à son fondement supérieur, celui d’une sagesse effectivement capable de guider et de gouverner, de véritablement servir la manifestation.

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L’être humain n’acquiert sa noblesse que par la connaissance et la maîtrise de soi. Alors seulement peut-il veiller au bien général.

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Celui qui n’a pas la maîtrise de soi n’est que l’ombre de lui-même. Il est dominé, il est mené comme un esclave par ses propres impulsions, manques et désirs, par l’autre, par l’image qui lui est présentée.

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C’est la pesanteur du ventre. C’est l’état de troupeau.

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De nos jours, les prédateurs ont grandement perfectionné le savoir-faire du berger – les masses humaines sont des potentiels de profit.

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4 Prendre

Quand, et pourquoi, la violence est-elle devenue inévitable ?

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Si tu m’empêches d’obtenir ou d’accéder à ce qui m’est indispensable, tu m’obliges à faire pression sur toi pour que tu cèdes.

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La séparation. L’ego.

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Ce que la Nature ne nous offre pas de plein gré, il nous faut donc le lui arracher.

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5 Déséquilibre

Près de huit milliards d’êtres humains. L’on étudie les phénomènes, les conséquences ; on les nomme et les classe et les évalue ; on les définit, les commente et les prédit. On se spécialise.

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Il y a-t-il, dans le temps et l’espace, une seule vie humaine exempte de violence ?

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Il y a-t-il un seul pouvoir qui s’exerce sans violence ?

Oui. La Force d’Harmonie. La Force de guérison. La Beauté véritable. La Vérité.

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La violence morale, la violence étatique, la violence émotionnelle – et la violence physique. De la violence sauvage et impulsive à la violence délibérée, organisée, légitimée, se trouve ce processus que l’on nomme « civilisation ».

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Le progrès de la conscience serait-il possible sans violence ni souffrance ? La conscience pourrait-elle s’éveiller de sa torpeur inerte de créature

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matérielle sans le choc de la souffrance ou de l’horreur qui allume en elle la flamme d’une aspiration et d’un appel vers une existence plus haute et plus pleine et plus vraie ?

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Si la cause, la raison et le but de cette incarnation matérielle, de ce séjour dans ce monde physique, ne font qu’un – devenir conscient du Divin -, s’ensuit-il que tout ce qui nous arrive, absolument tout, tragédies et triomphes, joies et misères, doit être accueilli comme une aide ?

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Mais combien sont-ils, ces humains, qui aujourd’hui même éprouvent ce besoin ?

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En regard des priorités pour l’équilibre et la santé futurs de la Terre, l’humanité est-elle – en partie, en grande partie – dispensable ?

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Tous les sols ne conviennent pas à toutes les graines.

Avec le temps et la diversification des activités humaines, les sciences se sont élaborées, développées, définies, situées.

Ce que l’on savait peut-être sans mots ni pensées, demande, exige et requiert à présent toutes sortes de calculs, de références et de classifications pour livrer nombre d’explications parallèles et d’hypothèses avancées.

L’humanité serait-elle une espèce devenue rogue ?

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Cela arrive : avec l’intrusion soudaine de produits ou d’associations chimiques ou moléculaires dans un milieu donné, une myriade de réactions phénoménales extraordinaires se produisent ; ainsi une variété d’algues se propageant brutalement peut-elle rapidement étouffer un milieu aquatique. Ou bien c’est l’intrusion subtile de forces et d’influences dans les consciences qui rompt leur équilibre collectif et pervertit, ou déstabilise leur relation à leur milieu naturel et leur environnement. Le temps et l’espace - l’espace-temps – les espaces-temps : sont-ils plusieurs, sont-ils nombreux, sont-ils infiniment nombreux ? Sont-ils simultanés, parallèles, interdépendants ? Se chevauchent-ils, se croisent- ils, s’influencent-ils mutuellement ? Et d’ici, de ce corps et cette matière concrets – et périssables -, pouvons- nous accéder à ces autres dimensions ? Ces autres réalités peuvent-elles accéder à la nôtre ? Il y a-t-il échange, il y a-t-il exploitation, la collaboration est-elle possible ? Regardez ces gosses absorbés par les péripéties d’une violence virtuelle si souveraine que seules les sensations internalisées qu’elle suscite demeurent réelles – les corps sont oubliés, la détresse humaine, le chagrin, la peur, le plaisir, tout est récupéré par la mise en scène effrénée, infiniment variée, de la violence : il n’y a plus d’horreur, il n’y a plus d’éveil, il n’ya plus que de la nourriture magique et toute-puissante… Regardez ces adultes accaparés sans plus de réserves par le marché des images du sexe dont ils ne peuvent plus se passer, n’ont-ils pas oublié comment donner, comment se donner, comment célébrer l’attention et la tendresse de l’humain dans la Matière ? Combien sommes-nous donc qui ne souhaitons plus que d’être pris, d’être happés, exemptés de toute responsabilité, afin d’oublier le manque qui siège dans nos vies ? *

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Ainsi peut-on « choisir » sa drogue, sa variété d’hypnotisme et de possession, pour « passer le temps », pour ne plus être cette coquille vide, cette loque errante, ce jour terne et cette absence qui n’en finissent pas, ou ces drames si lourds et vains qu’on veut s’enfuir…

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6 Pralaya

Notre vie animale, depuis le premier instant de l’expulsion, est sillonnée de violence, à commencer par la violence de nos besoins et de nos appétits, violence qui domine notre conscience physique jusqu’à ce que les instruments se développent – et nous projettent dans des champs de forces où se heurtent et rivalisent toutes sortes de volontés qui veulent s’imposer. Or toute imposition est violence, qu’elle soit institutionnelle, clanique, morale, émotionnelle, intellectuelle, ou physique. Et nous apprenons à nous servir de notre volonté en termes de violence, la violence est la mesure de son effectivité – même si nous sommes convaincus d’agir pour le bien. Ce n’est que par l’union à la conscience psychique que l’on peut se retirer de toute violence et laisser agir la Force d’harmonie. Et la seule imposition qui soit dénuée de violence est celle de la Conscience véritable, car elle est sa propre évidence, inaltérable, inaliénable, imprescriptible, entière et sans contraires.

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La violence peut aussi bien être passive : l’on en est l’instrument aveuglé, l’on commet une violation sans l’avoir délibérée. Ainsi l’entrepreneur qui déverse les effluves toxiques de son usine dans la rivière voisine est lui-même l’objet de violentes pressions qui s’exercent sur ses propres ressources et ses capacités limitées de discernement et de choix.

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Il semblerait qu’à présent – est-ce une bataille terrestre, un conflit général, une course éperdue, ou est-ce plutôt la transition à un autre équilibre ? – se joue notre destinée entre une coalition des forces destructrices et la collaboration choisie et consciente des forces d’harmonie. Mais notre appréciation de la situation est largement déterminée par notre expérience subjective du temps. Et de la mort.

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Les rythmes du temps. Les Pralaya. Pulsations universelles, créations, expansions, destructions,

réabsorptions… le germe de la Vie, les civilisations enfouies, le passé infini, l’histoire toujours recommencée : sommes-nous donc arrivés juste au bord du grand précipice ? Il est pourtant un état de conscience où l’on sait absolument que l’énergie et la matière sont unes, indivisibles, infinies – que la mousse au pied de l’arbre, le torrent qui dévale, le coquillage nacré contre ta peau, sont éternels et, même détruits, continuent d’exister et renaîtront dans la matière, assemblages de relations de la conscience une et sans limites.

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Mais voilà : il y a un sens et une nécessité au progrès de nos consciences. Ta haine est une grimace qui cherche sa vérité. Ton mépris, ta grossièreté, sont des plaies sur notre corps vivant. Ma dureté est un masque qui redoute le mélange de l’obscur. Il nous faut apprendre, apprendre comme un seul homme, notre leçon. Comme un seul être.

Il nous faut retrouver l’amour dans la matière. Maintenant.

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La Terre est grièvement blessée ; jusque dans ses entrailles elle doit endurer les effets nauséabonds de nos ravages. Pourrions-nous encore la soigner, la guérir, lui rendre son équilibre et son intégrité, nettoyer son atmosphère et, enfin, l’aimer ?

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Sentimentalisme ? Anthropomorphisme ? Aujourd’hui, où que nous vivions sur cette merveilleuse planète, nous connaissons dans nos corps les dimensions de sa colère, de sa rage, de son impatience – ou de sa détresse ? Nous l’avons vue et sentie se soulever, se secouer, s’ébrouer, se ruer et tout piétiner, tout arracher, tout renverser, broyer, pulvériser, déliter…

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Mais quelles que soient les chroniques occultes de continents disparus, de très anciennes sociétés accomplies qui succombèrent à leur vice et leur partialité, ou les mémoires cellulaires d’un temps sans heurts ni discordes où toutes les créatures de toutes les espèces se reconnaissaient mutuellement et l’humain se dressait comme une promesse, que ce furent cent ou mille fois, jamais encore nulle part il n’y eut cette formidable accélération – vers une convergence ou une conflagration ? L’espèce humaine à ce point répandue, à ce point nocive, à ce point contradictoire, à ce point de découverte et de transformation, ou de défaite et de désintégration, jamais nulle part cela ne s’est produit – autre qu’ici et maintenant…

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Oui, la Terre peut nous détruire en quelques pichenettes, on le voit ; ou bien nous rendre cette vie matérielle si rude et pénible que nos organismes

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actuels ne pourront s’y adapter : nous la détruisons, elle nous détruit, est- ce là seulement elle et nous, la faillite d’une association évolutive ? La Terre et ses forces : les forces de la Nature, les forces de la Matière et les forces subtiles (que nos sens de perçoivent pas) qui la soutiennent et sustentent - s’agit-il d’elle et de nous seulement ?

Aux décombres de nos guerres s’ajouteront les décombres de sa vengeance finale, n’est-ce pas ce goût de poussière partout qui nous apparait inexorablement plus probable ?

Et puis ?

Entre les ressources infinies de l’énergie dans la Matière et de l’énergie dans la Nature terrestre survivante, de nouvelles combinaisons moléculaires, d’inédites rencontres, d’autres conduites subatomiques contribueront à la formation de nouveaux organismes et tous les inertes débris du passé seront décomposés et peut-être alors, qui sait, il y aura-t-il une autre tentative pour incarner et manifester la Conscience ?

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Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Avons-nous bien saisi la solidarité de tout ce qui est ?

Dans quelle mesure sommes-nous les proies et les marionnettes impuissantes de ces plans adjacents qui sans cesse nous influencent ?

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7 Les appâts

Les entités, ou groupes d’entités, qui se nourrissent de nos décharges émotives et se délectent de nos terreurs et de nos jouissance extrêmes, sont aussi nos pourvoyeuses d’intensité et c’est bien ainsi que nous devenons leurs jouets. Sans leur intervention, leurs immiscions, leurs injections d’influx vital, il nous semble être condamnés à une existence morne et insensée ou un esclavage interminable aux nécessités grossières d’une existence sans but ni éclat. Nous voudrions peut-être croire qu’il s’agit d’une simple circulation d’énergie – nous émettons, nous recevons : n’est-ce pas ainsi que tout fonctionne ? Cependant, plus s’accroît notre dépendance et plus nous sommes aliénés de notre conscience et plus sourds à son appel.

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Avoir plus, acquérir et posséder davantage, mieux profiter… le droit à l’agrément, au confort, au plaisir… Et de la sorte, le bien-être se mesure par la quantité d’objets possédés – et bientôt remplacés ou jetés dans l’incessante poursuite d’une perfection, d’une rentabilité et d’une efficacité supérieures. Une immense chaîne mouvante graduellement capture les humains.

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La manipulation d’autrui, son objectification, son exploitation, sont devenues la norme : il est normal et respectable d’en faire un métier.

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D’obscènes fortunes s’édifient et le pouvoir d’action que confèrent la richesse ou l’argent est placé entre les mains de nouveaux misérables, esclaves des images qui les animent, des ambitions qui les propulsent et des intentions qui leur servent d’affiche.

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Il y a-t-il aujourd’hui une seule nation qui soit à la fois libre et capable de gérer ses propres ressources, sa propre économie, l’harmonie de sa propre société ? Celles qui sont « grandes » et « puissantes » ne le sont qu’au détriment d’autres moins arrogantes, qu’elles s’empressent de piller ou de « protéger » conditionnellement, ou ne le deviennent, comme l’Inde, qu’aux dépens de leur propre culture intérieure et de leurs propres richesses naturelles, émulant le modèle de réussite promulgué par l’Occident et jetant leur population en pâture pour les « bergers » du grand marché mondial. L’espace et milieu des « négociations » internationales est celui d’une dynamique délétère de pressions mutuelles, de chantage, d’extorsion, de menace et de fausses promesses. Proies et prédatrices, toutes se rangent et se plient sous la bannière du « progrès », c’est-à-dire d’un développement criminel dépourvu de vision et d’amour. Deux petits pays semblent échapper à cette course effrénée, le Bhutan et la Costa Rica. Cependant, le Bhutan est convoité par la Chine, qui cherche à consolider son emprise territoriale tout autour de l’Inde, et dépend en partie de l’Inde pour ses ressources énergétiques, dans la mesure où sa population, maintenant émancipée d’une ancienne monarchie, revendique l’accès à la panoplie contagieuse de la « vie moderne ».

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La Costa Rica se tient justement fière, ayant su garder son intégrité – et renoncer à tout armement ; l’on y pratique le soin et le respect de la nature et, dans une importante mesure, des « droits fondamentaux » de toute créature. Ce sont deux points sur la carte de la Terre, deux minuscules enclaves de bien-être et de santé.

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8 Ici et partout

L’on cherche et l’on cherche - en regardant tout, en éprouvant tout, en saisissant tout, l’on cherche le point commun de transmission, ce point de communication directe, immédiate et universelle, ou au moins humaine, ce seuil, cette ouverture instantanée par où l’Harmonie du Vrai, la vraie harmonie puisse passer, circuler, agir et se manifester dans toutes les consciences à la fois et, à travers elles, dans les circonstances de la Terre.

L’on cherche, l’on cherche comment servir ce saltus, ce transit, cet ensemencement, comment le hâter.

L’on comprend bien qu’un calme inébranlable et inaltérable, une égalité irréversible, sont indispensables pour ce service. Une impersonnalité souveraine, établie, entièrement offerte, doit déjà gouverner tous les mouvements et toutes les activités de l’être. Mais, comme l’on en est encore si loin et si séparé, alors l’on est tenté de… de quoi…, de renoncer ? Non, mais de chercher à servir sans avoir encore obtenu cette réalisation, sans avoir même assez changé… ! Parce que l’urgence semble grandir, presque de jour en jour et d’heure en heure – et l’on prie pour que s’écarte et se dissolve la possibilité-même de la destruction : d’un gâchis et d’un gaspillage si incommensurables du point de vue de la conscience émise et de l’expérience éprouvée dans la Matière sur le chemin de l’Evolution…

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Certes la nature humaine s’est longtemps efforcé de concilier ses appétits et sa convoitise avec son intelligence et son équilibre et ses pratiques de domination et d’allégeance ou de soumission, d’exploitation et de dépendance, de séduction et de subterfuges, sont si anciennes et rouées qu’elles en paraissent éternelles et incontroversables.

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Mais ce qui ne s’est jamais produit auparavant, c’est qu’une telle masse d’humanité soit de son vivant et dans son entier rendue vulnérable à une exploitation concertée de ses besoins et instincts de créature.

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Nous sommes tous, chacun de nous, prisonniers de notre contexte ; c’est notre contexte qui détermine notre compréhension et appréciation de l’état du monde - et de notre position relative. Prisonniers consentants et même reconnaissants, puisque ce contexte nous protège, nous structure et nous définit, quel qu’il soit. Si quelques brèches viennent lacérer notre horizon immédiat, elles nous permettent de croire que notre ignorance en est d’autant mitigée, tempérée, corrigée, éduquée par le soudain aperçu qu’elles nous donnent du vaste monde et de ses dangers - mon mari qui doit souvent partir en mission en revient chaque fois chargé de cauchemars, le réfugié devant moi qui ne comprend pas combien coûte la baguette, l’enfant prostituée qui me hèle sous la porte cochère, le gaillard tout blême et hirsute qui débarque dans mon ashram, le fleuve en crue qui soudain charrie des cadavres, le flanc de la montagne qui se fend et s’écroule au bout de mon village…

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9 Sociétés ouvertes

Parfois, le désordre est une aubaine, dans la mesure où il suscite une ouverture et un appel. « O Seigneur, que la Vérité gouverne, je ne veux plus rien d’autre que Toi, ce que Tu veux ! » (A traduire selon les langues et les cultures, les différences de formulation n’ont aucune importance !)

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Du point de vue spirituel, la démocratie est une piètre solution, puisqu’elle donne à l’ignorance le Droit de dominer par le nombre. Pourtant, si la Vox Populi est, à de nombreux sujets, l’expression des instincts les plus lourds, les plus obscurs et les plus bornés, elle est à certains autres, plus profonde et plus claire que les voix des ambitieux, des cupides et des arrogants ; mais seule une conscience éveillée et désintéressée peut distinguer entre les sources de ses dynamiques – et tâcher alors d’œuvrer pour l’ensemble. Ceux qui sont élus – par le « peuple » - le sont sur la base de promesses qu’ils ne pourront jamais tenir, contractant des dettes dont ils ne pourront jamais s’acquitter honorablement et, ainsi, seront-ils amenés à se laisser acheter, d’une manière ou d’une autre - raisonnablement, courtoisement, ou plus brutalement et crûment. Ceux qui « gouvernent » sont les autres, les chefs d’industrie, les financiers, les grands patrons et les faiseurs d’opinion - et les membres de la grisaille occulte qui occupent l’édifice moins visible de l’Etat et ne dépendent pas du bon vouloir des citoyens, la hiérarchie administrative qui peut moduler les passages du pouvoir.

Il y a aussi, presque anonymes et contraints d’observer, les serviteurs du peuple, ou de la nation, ou de l’âme du pays, ceux qui ont été entraînés au

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